La législation de Vichy contre les juifs étrangers (octobre 1940)
Depuis l'armistice, la France est coupée en deux par la ligne de démarcation. La nouvelle frontière passe au milieu du département des Basses-Pyrénées.
L'ouest, qui correspond sensiblement aux provinces basques, est occupé, et l'est, c'est-à-dire presque tout le Béarn, est libre. Gurs, situé dans la zone non-occupée, à une vingtaine de kilomètres des postes frontières de Sault-de-Navailles, Orthez, Salies-de-Béarn, Sauveterre-de-Béarn et Saint-Palais, relève de la seule compétence du gouvernement de Vichy et des services préfectoraux de Pau.
Durant l'été 1940, le camp se vide. Le 1er octobre, il ne reste plus que 3 594 internés et la plupart des Béarnais pensent que la dissolution n'est qu'une question de jours. À vrai dire, tout annonce une fermeture prochaine. La moitié des îlots ne sont-ils pas désaffectés ? Les baraques de bois, utilisées sans discontinuer depuis un an et demi, ne tombent-elles pas en ruines ? Les Gursiens ne doivent-ils pas être incorporés dans les compagnies de travailleurs étrangers ? Et puis, si l'on devait encore utiliser le camp, aurait-on laissé la moitié des îlots à l'abandon ? A-t-on le temps maintenant, avant l'hiver, de restaurer les toitures, de renforcer les bat-flancs, de faucher les hautes herbes, de chasser les colonies de rats qui s'y cachent, de récurer les égouts, de drainer le sol déjà engorgé par les pluies d'automne ? Sans parler des gardiens, gendarmes et gardes mobiles, qui ne peuvent demeurer indéfiniment à Gurs, faire un métier qui n'est pas le leur.
C’est certain, la fin du camp de Gurs est proche.
Gurs face à la Révolution nationale
A Vichy, cependant, le nouveau gouvernement ne l'entend pas ainsi.
Les nouveaux principes qui doivent désormais diriger le pays sont ceux de la Révolution nationale. Il faut en revenir aux "antiques valeurs qui font les peuples forts", résumées par la nouvelle devise du pays, Travail, Famille, Patrie. Plusieurs groupes sociaux n’ont pas leur place dans la renaissance du pays, que le Maréchal appelle de ses vœux : les étrangers, bien sûr, les juifs, les rouges (c’est-à-dire les socialistes, communistes et autres syndicalistes), les francs-maçons, les gaullistes, etc... Tous ceux-là constituent l’anti-France. Il convient de s’en protéger et donc, de les neutraliser.
A peine installé, le nouveau régime s'en prend donc aux "véritables responsables de la défaite". Au premier rang se trouvent les juifs et les francs-maçons. Dès le 17 juillet, le gouvernement promulgue les premières interdictions professionnelles à l’encontre des juifs, en leur fermant l'accès aux emplois administratifs publics ; le 22, il promulgue le décret-loi portant révision des naturalisations effectuées depuis le 10 août 1927. Les interdictions diverses se multiplient au cours des semaines suivantes et il serait interminable d’en présenter ici le détail. Certes, il n'est pas encore question de purger le pays des juifs qui y habitent, comme le fait, au même moment, l'administration nazie en Alsace-Lorraine, mais il est clair, dès l'été 1940, que Vichy ne ménagera pas les juifs.
Mais comment gérer efficacement la neutralisation de tous ces ennemis de l’intérieur ? La réponse de Vichy est simple et s’inscrit dans la suite logique des mesures d’exception prises au cours des deux années précédentes : les camps d’internement.
De fait, à partir de l’automne 1940, la France se couvre de camps, des petits, des grands, des anciens, des nouveaux. Il n’est pas un département qui échappe à cette règle¹. Gurs évidemment est concerné au premier chef. Tout y existe déjà, depuis plus d’un an, pour en faire un des hauts lieux de l’internement administratif prôné par Vichy. Il suffira seulement d’infléchir les habitudes administratives en y enfermant une nouvelle catégorie d’indésirables, les juifs étrangers réfugiés sur le territoire.
Début octobre, en deux jours, l’essentiel de la législation antisémite est promulgué.
A l’encontre des juifs français, le Statut des Juifs (3 octobre 1940)
Elaboré par le garde des sceaux Raphaël Alibert, la loi du 3 octobre, portant statut des juifs, est publiée au Journal Officiel le 18 octobre. Elle instaure l’antisémitisme d’état. Les juifs sont désormais exclus de la fonction publique, des métiers de la presse, de la radio, du cinéma et du théâtre, etc. Les premiers quotas sont fixés, pour leur limiter l’accès aux professions libérales.
Il existe désormais une nouvelle catégorie de Français, caractérisée par une condition juridique et sociale inférieure. C’est le début de la politique d’exclusion qui, de proche en proche, conduira les juifs français à la déportation, en vue de leur extermination.
A l’encontre des juifs étrangers, le décret du 4 octobre
Le décret-loi du 4 octobre est publié au Journal Officiel le 18 octobre, le même jour que le Statut des Juifs. Pour tous ceux qui avaient pris le parti de trouver en France un refuge, il représente un danger imminent d’internement ou d’assignation à résidence. Les articles 1 et 3 précisent :
Art. 1. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.
Art. 3. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, en tout temps, se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence.
Le 20 octobre, le ministère de l'Intérieur publie une note détaillée sur le fonctionnement des "camps d'étrangers" situés en zone non-occupée. Six camps sont retenus :
- Le Vernet (Ariège), "camp répressif".
- Gurs, camp "semi-répressif".
- Bram (Aude), Argelès et Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales), "camps d'hébergement".
- Les Milles (Bouches-du-Rhône), pour les personnes en instance d'émigration.
Ainsi non seulement le centre béarnais n'est pas fermé, mais il figure en bonne place dans le système carcéral vichyssois. Tout est prêt désormais pour que le piège fonctionne. Il ne manque plus que les victimes.
Elles arrivent massivement au camp à la fin du mois, du 24 au 31 octobre. Puis, sans discontinuer, pendant trois ans. Au total, 18 185 personnes. À de très rares exceptions près, elles sont enfermées pour des raisons spécifiquement ethniques, leur judéité.
Presque tous ont connu en Béarn une des ultimes étapes de leur vie.
¹ Denis Peschanski. La France des camps. L’internement (1938-1946). NRF Gallimard, Paris, 2002, 456 pages.
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