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Les sorties du camp (été et automne 1940)

Sortir du camp, c’est l’obsession de tous les internés. Mais, comment faire ? Faut-il s’évader ? Faut-il attendre le transfert dans un autre camp ? Faut-il attendre le procès ?

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Environ 1200 tranferts dans d’autres camps ou d’autres prisons

Dans leur immense majorité, les internés de Gurs attendent l’instruction de leurs dossiers et leur comparution devant les tribunaux. Même s’ils considèrent que leur internement est arbitraire, même s’ils redoutent le pire, ils continuent à faire confiance à la justice de leur pays. C’est pourquoi, ils attendent.

Les transferts vers d’autres camps débutent dès la fin du mois de juillet, comme, par exemple, pour le groupe des Bordelais. Ils se poursuivent tout au long de l’été et de l’automne, et culminent en novembre. Au total, on en compte environ 1200, soit les neuf-dizièmes des sorties, au bas mot.

Dans la plupart des cas, ces départs sont organisés vers la Dordogne, département dans lequel viennent de se replier les tribunaux de Paris. Par exemple, dans le camp de Mauzac, ou bien des prisons de Nontron et de Périgueux. Parfois, ils sont dirigés vers d’autres camps, comme celui de Nexon (Haute-Vienne), où un centre spécial vient spécialement d’être ouvert, en décembre.

Ils y attendront, parfois pendant plusieurs mois, que le tribunal de Périgueux décide de leur sort. Dans la plupart des cas, ils seront condamnés ; quelques uns, à des peines de prison correspondant sensiblement à la durée de leur détention, mais, le plus souvent à plusieurs années de prison ferme. Il n'est pas certain, d’ailleurs, que leur séjour en maison d'arrêt ait été plus éprouvant que leur internement à Gurs. Certains, comme Daniel Renoult, bénéficieront d'un non-lieu. D’autres, comme Léon Moussinac ou Pierre Goron, seront purement et simplement acquittés. Pour ceux-là, le passage à Gurs est reconnu officiellement comme une erreur, dont ils auraient fait volontiers l'économie.

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Quelques dizaines de sorties exceptionnelles

Les évasions sont peu nombreuses, une trentaine au total, presque toutes soldées par des échecs. Car il est bien difficile de quitter l’îlot B. La surveillance y est plus étroite que partout ailleurs, les possibilités de préparation de l’évasion, très réduites, et les contacts avec l'extérieur, insignifiants. Les intéressés sont finalement repris, parfois très loin de Gurs, jusque dans la banlieue lyonnaise, et aussitôt enfermés à l'îlot de représailles des "politiques". Parfois, l'aventure se termine tragiquement : le 13 juillet, Charles Einstein, plutôt que de se rendre, se jette dans le Gave de Pau, à Boeil-Bezing, et se noie. Mais la principale raison n’est pas là. Elle tient surtout au fait que les détenus, comme nous l’avons dit, préfèrent attendre de passer en jugement.

Les détenus qui ont des relations essaient d'y faire appel. Les ministres de Vichy eux-mêmes sont sollicités, du moins ceux qui ont été marqués à gauche, dans le passé. Une lettre est adressée à René Belin, ancien secrétaire général adjoint de la CGT réunifiée, devenu ministre de la Production industrielle et du Travail. Elle fait appel à sa "conscience d'ancien responsable syndical" et dénonce l'absence d'hygiène, l'insuffisance de la nourriture et l'attitude hostile des services médicaux. En vain. Louis Lecoin écrit à Laval, qu'il a bien connu à l'époque où tous deux militaient dans les rangs du parti socialiste ; il l'informe des conditions illégales dans lesquelles il a été interné et termine sa lettre par ces mots : "J'en appelle à vous, Monsieur le Président, qui me connaissez depuis trente années. J'en appelle à vous et j'attends, sans trop d'appréhension, que justice me soit rendue". Il sera libéré le 9 octobre, sans que l’on puisse affirmer que sa lettre y soit pour quelque chose.

On enregistre aussi quelques libérations, une trentaine environ. Les raisons comme les modalités, ne sont pas connues. Il est néanmoins acquis qu'il s'agit de décisions individuelles comme, par exemple, pour Lesca, Laubreaux et Fabre-Luce, les 28 et 29 juin. La seule exception date du 3 septembre : ce jour-là, onze détenus sont libérés en raison de leur âge avancé et de leur mauvais état sanitaire. Ils quittent Gurs en levant le poing, ce qui fait dire à un gardien : "Quelle mentalité ces vieux !" (Moussinac, page 220)

Le 31 décembre 1940, tous les IF ont quitté le camp.

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Conclusion

En définitive, le séjour des IF n'aura duré que quelques mois.

Il a laissé cependant, dans le souvenir de ceux qui l'ont subi, une trace ineffaçable. Pendant les décennies suivantes, les anciens politiques de Gurs n’ont jamais cessé de parler de cette période de leur vie avec une émotion teintée de fierté. Mieux, de tous les anciens Gursiens, ils sont les seuls à n’avoir jamais voulu cacher leur internement à leurs enfants ou à leurs amis. Pour eux, leur passage dans un camp où furent internés des Républicains espagnols et des Juifs, même s’ils ne les ont jamais côtoyés, est le symbole de leur engagement et de leur foi communistes. Ils y ont puisé la confirmation de leurs certitudes idéologiques. Ils y ont forgé les armes qui leur serviront plus tard, dans la Résistance, dans les engagements d’après-guerre et dans les luttes sociales ultérieures.

Pour l’historien, une question demeure : pour­quoi, au juste, ont-ils été conduits à Gurs, et non dans une quelconque prison de la zone non occupée ? La réponse tient-elle seulement aux circonstances, c'est-à-dire à la confusion administrative engendrée par la débâcle et par l'armistice ? Peut-on se contenter de l’argument selon lequel il n’y avait guère de places disponibles ailleurs ? N’est-ce pas en rester à la seule apparence de choses ?

Ne faudrait-il pas aussi évoquer d’autres raisons ? Par exemple, la volonté de fournir une explication simple à la défaite, en désignant les IF comme les vrais responsables et les vrais coupables ? Par exemple, la volonté de leur faire expier leurs fautes, en les enfermant dans les mêmes camps que ceux qui avaient internés leurs misérables devanciers, les communistes et anarchistes espagnols ? Par exemple, la volonté de renaissance de la France en jetant au rebut tous les suppôts de l’anti-France ? Et cela, justement, à quelques dizaines de kilomètres du fort du Pourtalet où, quelques mois plus tard, seront conduits pour expiation d’autres vrais responsables de la défaite, Blum, Gamelin, Daladier, Reynaud et Mendel.

 

 

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