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De mai à juillet 1940 : le temps de la confusion généralisée
Ces trois mois comptent parmi les plus confus de toute l’histoire de la France. Le rythme des événements s’accélère, les défaites militaires s’enchaînent, le système politique s’effondre, les déplacements de population se multiplient, certaines régions entières se vident, l’économie est ruinée, la vie sociale est bouleversée, les familles divisées et le spectre de la mort réapparaît partout.
Sur le plan administratif, c’est le temps des mesures d’exception, prises à la va-vite, sous la pression des évènements, sans aucun plan préétabli. Il en résulte, dans les camps d’internement du midi de la France, un sentiment d’angoisse et une impression de confusion, comme on n’en avait jamais connu auparavant.
Le temps de l’incertitude générale
Depuis des mois, le camp grouille de rumeurs selon lesquelles la dissolution est imminente. Il est vrai que, les effectifs internés étant en chute libre, on ne voit pas pourquoi on maintiendrait les îlots en activité.
Mais, en mai 1940, tout change. Chaque jour, des convois de camions déversent leur flot de nouveaux internés. Plusieurs îlots désaffectés sont vaguement restaurés et reprennent du service. Certaines baraques sont éventrées, d’autres partiellement ruinées, les lavabos ne fonctionnent plus, les rats pullulent dans les hautes herbes, mais peu importe, les internés ne cessent d’arriver et de s’entasser. Désormais, il ne s’agit plus d’Espagnols, mais d’Allemands et même de Français. Désormais, ce ne sont plus des hommes mais des convois entiers de femmes.
Après l’armistice du 22 juin, les services français du camp ne savent plus ce qu’il faut penser. Pourquoi laisse-t-on enfermées ces femmes allemandes alors que l’Allemagne n’est plus l’ennemie de la France ? L’Allemagne est-elle désormais notre alliée ? Un armistice est-il une paix ? Qu’est-ce, au juste que cette "ligne de démarcation" ? Une nouvelle limite administrative ou une véritable frontière ? Et qu’est-ce que la démilitarisation ? Le camp va-t-il être géré par les Allemands ? Les rumeurs les plus alarmantes circulent à ce sujet. À plusieurs reprises, à la fin du mois de juin, l’arrivée de troupes d’occupation à l’intérieur du camp est annoncée comme imminente. Des moments de panique saisissent alors le personnel français, exclusivement composé de militaires réservistes. Mais peut-être va-t-on fermer le camp, puisqu’il n’a plus de raison d’être. À moins que les prochaines semaines ne nous réservent une nouvelle catastrophe.
Bref, c’est la confusion la plus totale, largement entretenue sur les incertitudes qui pèsent sur l’avenir du personnel français d’encadrement et sur les modalités d’installation du nouveau régime.
Sur le plan administratif, le symbole le plus frappant de cette confusion est la décision prise par le commandant du camp, le 24 juin 1940, de détruire toutes les archives du camp (voir fiche 3).
Le temps de la confusion administrative
Au nom de l’internement administratif, on enferme à Gurs les catégories d’hommes et de femmes les plus diverses et les plus imprévues : français ou étrangers, jeunes ou vieux :
- quelques centaines de réfugiés républicains espagnols de l’époque précédente, qui viennent d’être démobilisés des GTE ou qui n’ont toujours pas trouvé d’employeurs.
- quelques dizaines de volontaires des Brigades internationales, en instance de transfert pour le camp du Vernet.
- quelques milliers de ressortissants civils des pays contre lesquels la France est en guerre, c’est-à-dire les Allemands et, par assimilation, les Autrichiens et les Sudètes. Peu importe qu’ils soient pratiquement tous des antinazis notoires et qu’ils aient fui leur pays depuis de longues années. Peu importe qu’ils se soient eux-mêmes rendus dans les centres d’accueil et les commissariats pour montrer leur bonne foi. Peu importe leur statut, plus ou moins avéré, de réfugié. Ils sont considérés comme ennemis et enfermés dans des camps. On voit ainsi arriver à Gurs, dans les derniers jours du mois de mai, plus de 7 000 femmes réputées allemandes.
- quelques centaines de "préventionnaires" français (ce néologisme utilisé en milieu carcéral désigne toute personne emprisonnée en détention préventive) transférés des prisons parisiennes de la Santé et du Cherche-Midi. Mais ce groupe lui-même est composé d’hommes venus de tous les horizons : détenus de droit commun, criminels ou petits voleurs, militants politiques pronazis, militants communistes, militants pacifistes, etc...
- quelques centaines de réfugiés basques espagnols arrêtés dans l’agglomération bayonnaise par mesure préventive.
- quelques dizaines de gitans ("les tziganes") arrêtés dans des conditions mal connues.
Qu’y a-t-il de commun entre toutes ces catégories d’internés ? Personne, dans les services du camp ou dans ceux de la préfecture, n’est capable de répondre clairement à cette question. Gurs est alors le lieu d’enfermement de toutes les variétés d’étrangers exilés, réfugiés et désemparés, de malfaiteurs notoires ou supposés, d’opposants politiques, de fauteurs de troubles potentiels, de suspects trahis par leur accent, de sans ressources, sans logis ou sans papiers. Comme le dit alors Raymond Moussinac, c’est un "radeau de la Méduse", qui semble dériver tout seul vers des mers inconnues, probablement redoutables, au gré des courants imprévisibles de l’administration du pays.
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