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Les "indésirables" : qui sont-ils ?

Tout au long de l’année 1938, le parlement et le gouvernement français ne cessent de discuter sur les mesures à prendre à l’égard des étrangers désireux d’entrer sur le territoire français. Une dizaine de débats ont lieu sur ce thème à l’Assemblée. L’objet est de définir une législation claire, face aux demandes croissantes d’entrées sur le territoire métropolitain, formulées par les réfugiés étrangers. Parmi eux, les réfugiés républicains espagnols pourchassés par le franquisme, mais aussi les juifs allemands et autrichiens tentant de fuir les persécutions du régime nazi.

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Les décrets du 12 octobre 1938

Les lois votées par le parlement en avril 1938 sont promulguées le 12 octobre 1938 et publiées au Journal officiel le lendemain (pp. 12 920-12 923).
Les deux décrets d’application du 12 octobre sont rédigés au titre du "contrôle et de la surveillance des étrangers". Le premier est relatif à l’organisation de brigades de "gendarmerie-frontière", afin d’assurer un barrage étanche sur toutes les frontières, particulièrement le long des Pyrénées. Le second est le fameux décret sur les "indésirables".


Ce dernier décret distingue nettement deux catégories d’étrangers résidant sur le sol français (article 2). D’une part, la "partie saine et laborieuse de la population étrangère", c’est-à-dire les étrangers dont les titres de séjour sont en règle et qui disposent d’un contrat de travail dûment signé avec une entreprise précise, et d’autre part, les "étrangers indésirables".


Les "indésirables" doivent être surveillés étroitement. Leur mariage avec des ressortissants français est redéfini et sévèrement réglementé ; pour eux, les règles d’acquisition de la nationalité française sont modifiées de façon restrictive, les procédures de déchéance de la nationalité française sont simplifiées et la naturalisation ne comporte plus, désormais, l’octroi immédiat du droit de vote. Une sous-catégorie d’indésirables est même fixée, celle de ceux qui "sont dans l’impossibilité de trouver un pays qui les accepte" ; il est prévu qu’ils soient dirigés vers des "centres spéciaux", où ils feront l’objet d’une surveillance permanente ; mieux, pour eux, l’assignation à résidence est considérée comme inadaptée, puisqu’elle leur offrirait "une liberté encore trop grande". Autant dire que le décret du 12 octobre apparaît, purement et simplement, comme une version moderne de la loi des suspects de la période révolutionnaire.

Par ailleurs, ce décret opère une distinction théorique entre hommes et femmes. Les hommes doivent être systématiquement dirigés vers les "centres spéciaux", mais pas les femmes. Pour ces dernières, surtout si elles sont accompagnées d’enfants, on pourra ouvrir, à travers le pays tout entier, des "centres d’hébergement", où les conditions de séjour seront réputées moins rigoureuses.
Le premier "centre spécial" est ouvert le 21 janvier à Rieucros (Lozère), quelques jours avant le début de la Retirada. Mais curieusement, il est destiné aux femmes et aux enfants, ce qui indique que, là encore, le décret est appliqué dans sa forme la moins favorable aux réfugiés.

Camp de Gurs | Les "indésirables" : qui sont-ils ? | Gurs (64)Mauvaise conscience

Le décret du 12 octobre est immédiatement dénoncé comme "scélérat" par une partie de l’opinion publique. Il est vrai qu’il porte un rude coup à la réputation de la France, patrie des droits de l’Homme. Pourtant, il ne soulève aucune protestation massive ou organisée.


Il n’en reste pas moins que la mauvaise conscience s’empare des services administratifs du ministère de l’Intérieur. On peut l’observer clairement tout au long de l’année 1939. C’est ainsi que le terme d’indésirable disparaît des notes et circulaires administratives, au profit de ceux, plus édulcorés, de réfugié ou demandeur d’asile ; on le chercherait vainement, en 1939, dans le courrier émanant de la préfecture des Basses-Pyrénées. Mieux, la formule officielle de "camp spécial" disparaît également ; on parle désormais de "centre d’accueil", ou de "centre d’hébergement", parfois même de "camp de concentration", cette dernière expression étant à comprendre dans son sens de 1939.
Tout se passe comme si, en 1939 et jusqu’au 10 mai 1940, une sorte de honte étreignait l’administration française, qui l’empêchait d’utiliser les termes mêmes de la loi. À l’évidence, le temps des subtilités sémantiques est désormais arrivé.
Cette situation prend fin avec l’offensive du 10 mai 1940 et la fin de la drôle de guerre. Au moment où la vraie guerre commence, il n’est plus question d’une quelconque forme de tolérance. Les combats sont bel et bien là et la mauvaise conscience des mois précédents disparaît. On parle désormais ouvertement, dans tous les courriers administratifs, ministériels ou préfectoraux, de "camps", de "suspects", d’"étranger en surnombre dans l’économie française" et d’"indésirables".
C’est la raison pour laquelle le terme d’indésirable, bien que conçu au départ pour désigner les réfugiés républicains espagnols internés dans les camps, ne leur est quasiment jamais accolé, alors qu’il est systématiquement utilisé pour désigner les internés de mai-juin 1940. Il y a là un glissement sémantique qui reflète bien, d’une part, la mauvaise conscience de la période antérieure à la vraie guerre et, d’autre part, l’absence de toute mauvaise conscience, dès lors que les combats ont véritablement commencé.


Le régime de Vichy s’inscrira évidemment dans cette seconde optique et usera abondamment du terme d’indésirable.
Mais curieusement, le mot désigne presque exclusivement, aujourd’hui, les seuls étrangers internés pendant les dernières semaines de la IIIème République, en mai et juin 1940.

 

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