Les maladies
Une hygiène insuffisante a pour première conséquence d’offrir un terrain favorable à la circulation et au développement de toutes les maladies.
C’est effectivement ce que l’on constate à Gurs, pendant toute la période de Vichy.
Une maladie quasi permanente l’hiver : la dysenterie
Il s’agit de la maladie la plus couramment observée dans le camp. Les médecins comme les internés l’appellent soit dysenterie, soit gastro-entérite, soit même typhoïde. Les symptômes sont les suivants :
« La maladie se manifestait au début par une fièvre élevée, accompagnée de fortes diarrhées mêlées de sang et de douleurs au ventre. Les malades étaient prises si brusquement de coliques qu'elles souillaient le linge, la paillasse et le sol. Dans les cas graves, on observait également des nausées ; par la suite, toutes les muqueuses se desséchaient, on éprouvait une soif intense, on perdait conscience et il y avait une incontinence intestinale totale. »¹*
Tous les témoignages s'accordent pour reconnaître à cette maladie les caractères suivants : diarrhées violentes accompagnées de saignements, soif inextinguible, rapide chute de poids, anorexie, contagion.
Elle frappe surtout pendant l’hiver. L'été, les infirmeries d’îlot se vident et les affections à caractère épidémique cessent presque totalement. L'hiver, en revanche, dès les premières pluies, la maladie resurgit. Sa corrélation avec les conditions de l’internement en période hivernale (impossibilité de se promener dans les îlots fangeux, l’oisiveté forcée, froid et obscurité des baraques) sont donc évidentes. Tout Gursien devient alors un malade potentiel.
Le journal de Léon Moussinac montre qu'il suffit de quelques jours à cette infection pour envahir l'îlot tout entier.² Eugen Neter affirme que les personnes âgées sont les premières touchées et que la dysenterie est la cause essentielle de la vague de décès qui ravage le camp pendant l'hiver 1940-1941.³
Face à ce mal, l'administration médicale du camp porte l'essentiel de son effort sur des querelles de terminologie :
« Après analyse des matières fécales effectuée au laboratoire de l'armée, il a été conclu à l'absence de bacilles dysentériques. Il ne s'agit donc pas de la dysenterie. »
« La rumeur circulant dans les îlots selon laquelle une épidémie caractérisée de fièvre typhoïde, due à l'impureté de l'eau de camp, aurait déjà fait de nombreuses victimes, ne repose sur aucun fondement. Les symptômes de la fièvre typhoïde n'ont rien de commun avec ceux que j'ai pu observer ici.
(...) L'eau fournie aux hébergés est parfaitement potable. » (Rapport adressé le 24 janvier 1942 par l'inspecteur départemental de la Santé au préfet des Basses-Pyrénées)
En outre, les services médicaux du camp comme ceux du département sous-estiment de façon quasi systématique la gravité de la situation :
« La seule maladie constatée au camp ayant un caractère épidémique, en août 1939 et en septembre 1940, a été la diarrhée. » (26 octobre 1940)
« La diarrhée dysentéiforme a également sévi dans de nombreuses communes du département. (...) Le nombre des malades ne paraît pas anormal étant donné leur âge moyen. » (24 janvier 1941)
« L'entérocolite observée cet hiver dans certains îlots n'a pas présenté le caractère désastreux que décrivent les extraits de presse. » (13 mars 1941)
Quant aux Gursiens, il leur importe peu d'apprendre que la maladie qui menace leur vie est une gastro-entérite ou une entérocolite. En revanche, ils attendent des médecins du camp qu'ils leur dispensent des soins appropriés. En 1940 et 1941, c'est rarement le cas. Moussinac affirme qu'à la consultation, le praticien lui conseille pour guérir de « manger des pois chiches », Hanna Schramm, que « l'intendance fournissait un peu de créosote et d'eau de Javel, et c'était tout », Eugen Neter que la pénurie en médicaments et en matériel, ainsi que l'absence de toute possibilité d'isolement, rendaient vains la plupart des efforts.
Il est vrai que la cause fondamentale de la maladie n’est pas dans la présence d’agents pathogènes, comme des microbes, des virus, ou des champignons. Elle réside dans les carences de l'alimentation, son insuffisance en qualité et ses déficiences qualitatives. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on entasse aux subsistances des tonnes de courgettes ou de navets, pendant plusieurs jours, sans le moindre pain de glace pour les garder au frais ? Comment éviter un tel fléau lorsque, l’hiver, les organismes sont affaiblis par une nourriture indigente et uniforme ?
A la vérité, rien de sérieux n'a été entrepris pour lutter contre la maladie. Les responsables de l'hygiène, soit qu'ils aient réellement été convaincus d'avoir affaire à une mauvaise diarrhée, soit qu'ils n'aient pas disposé de moyens matériels suffisants, prescrivent des thérapeutiques insignifiantes : infusions, décoctions (mais les plantes manquent), hospitalisation dans les infirmeries d'îlots (mais elles sont déjà bondées). En règle générale, ou se contente de bonnes paroles. Parfois, certains médicaments sont donnés (bismuth, tannalbine) mais, la plupart du temps, les pharmacies sont vides et aucun remède ne peut être fourni. Aussi n'est-il pas étonnant de constater les dégâts, graves et fréquents, causés par cette affection intestinale : amaigrissement, épuisement, lésions diverses, pertes de conscience, etc... Au printemps 1942, un effort de suralimentation est entrepris. Les résultats ne se font pas attendre : en quelques jours, la maladie disparait.
Quelques autres pathologies
D'autres affections, liées directement à la nourriture déficiente du camp, sont fréquemment signalées.
Les œdèmes de carence qui boursoufflent le visage et déforment les mains sont fréquents (voir la fiche sur la faim).
D’importantes pertes de poids pouvant atteindre, aux dires des intéressés eux-mêmes, le tiers du poids habituel (Arthur B. écrit à sa famille, le 31 octobre 1941 : « j’ai perdu 42 kg et demi de mon poids et je suis devenu très faible »), aux dires de l'inspecteur général des camps, le quart. Un rapport sur « les besoins alimentaires des hébergés au camp de Gurs », rédigé le 17 août 1942 par le Dr Jean Roche, professeur à la faculté de médecine de Bordeaux, contresigné par l’inspecteur général des camps, affirme :
« Le quart de la population du camp environ est constitué par des sujets ayant perdu une partie importante de leur poids, pouvant dépasser 25%. Ils sont actuellement cachectiques ou menacés de cachexie ».
Notons également la fréquence anormale des maladies de la vue (atrophie du nerf optique), des chutes de dents, de l'aménorrhée, de l'anorexie, sans parler des crampes stomacales et des hémorragies. Ces altérations momentanées ou durables de la santé trouvent leur origine dans les déséquilibres (malnutrition) et les insuffisances (sous-alimentation) de la nourriture du camp. Toutes ne sont ni graves ni irréversibles, mais les pénibles conditions de séjour dans les baraques et le sentiment d'abandon, ressenti à juste titre par les internés, les ont souvent conduits à surestimer leurs effets.
À côté des maladies liées aux insuffisances de l'alimentation, d'autres, que signalent les rapports mensuels du médecin-chef au chef de camp, doivent être évoquées, notamment les méningites et des tuberculoses, d’une fréquence anormalement élevée. Le médecin responsable de l'hôpital des femmes les évoque en ces termes :
« Une deuxième [après l'entérite] maladie infectieuse atteignit le camp vers la fin de l'hiver : l'inflammation du cerveau (méningite). Elle toucha les jeunes, parmi ceux qui étaient restés jusque-là en bonne santé. J'ai ainsi rencontré une trentaine de cas dont l'issue fut presque toujours fatale. (...) La tuberculose fut, comme on pouvait s'y attendre du fait des mauvaises conditions de logement et d'hygiène, beaucoup plus fréquente que dans des circonstances normales. » (4)
En fin de compte, l'apparition de la maladie est, pour l’essentiel, directement liée aux déficiences alimentaires.
¹ Hanna Schramm. Vivre à Gurs. Un camp de concentration français. 1940-41. François Maspéro. Coll. Actes et mémoires du peuple. Paris, 1979, p. 51.
² Léon Moussinac. Le radeau de la Méduse. Journal d’un prisonnier politique. 1940-41. Ed. Hier et aujourd’hui. Paris, 1945, p. 00 et 204
³ Eugen Neter. “Erinnerungen an das Lager Gurs, in Frankreich”, dans le Journal de liaison du consistoire des Israélites du Pays de Bade, Karlsruhe, 1961, p. 51.
(4) Max Ludwig. Das Tagebuch des Hans O. Dukumente und Berichte über die Deportation und den Untergangdes Heidelberger Juden. Lambert Schneider. Heidelberg, 1965, p. 17-18.
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