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La lutte inégale contre la saleté et les maladies
Le camp de Gurs dispose d’un hôpital central, aménagé pendant l’été 1939. Théoriquement, les internés y sont soignés gratuitement et l’administration est censée fournir le matériel médical, les médicaments et les instruments chirurgicaux.
En fait la pénurie y est immense, malgré des périodes de répit.
C’est pourquoi les internés gravement malades redoutent leur éventuel transfert à l’hôpital central, considérant qu’il s’agirait là de l’ultime étape de leur vie.
De la pénurie de l’hiver 1940-41 aux améliorations des années 1941-43
Le combat mené dans les îlots contre la saleté et la maladie est à peu près impossible pendant l’hiver 1940-41. Il est mené par les internés eux-mêmes, car l’administration sanitaire du camp est alors totalement dépassée. Les médecins sont unanimes à constater l'ampleur et l'urgence des problèmes :
« L'épuisant travail des médecins et les fatigues accumulées par les infirmières furent vains : les médicaments, les régimes, la nourriture et le matériel médical faisaient trop cruellement défaut. Dans les froides baraques-infirmeries, il n'y avait qu'une seule alèse pour 30 ou 40 personnes atteintes de diarrhées. »¹
« Nous aurions pu arracher beaucoup de malades à la mort par des mesures de prophylaxie dans un camp mieux aménagé et avec des instruments d'analyse disponibles. Mais lorsque nous arrivâmes, nous ne trouvâmes aucun instrument. On nous promit beaucoup, on réalisa peu. » (le médecin responsable de l'hôpital des femmes) ²
« Les stocks médicamenteux sont extrêmement pauvres.(...) Ainsi l'insuline, les opiacés et les calmants (...). Tout aussi grave est le problème de l'appareillage orthopédique » ³
De fait, la pénurie de médicaments et d'instruments médicaux paralyse les efforts du personnel soignant. Si on n'avait pas systématiquement utilisé les réserves personnelles des internés puis, celles-ci étant épuisées, les colis envoyés au camp par les Œuvres philanthropiques alertées en toute hâte, il est certain que la misère aurait conduit à la mort un contingent très supérieur aux quelques 700 Gursiens décédés alors.
À partir de l'été 1941, la situation s’améliore. L'évacuation de près de 3 000 vieillards, enfants et malades, en février-mars 1941, vers d'autres camps mieux aménagés, comme ceux de Noé et du Récébédou (Haute-Garonne), avait déjà procuré aux internés restants une liberté de mouvement inimaginable quelques semaines auparavant. Le progrès devient prodigieux, en mai-juin, lorsque deux infirmières françaises diplômées sont affectées à chaque îlot. Quelques semaines après, une vaste campagne de restauration du camp est menée : les baraques-infirmeries sont nettoyées, meublées de châlits et dotées d'un stock de médicaments de première urgence ; des chambres sont spécialement aménagées à l'hôpital central dans l'accueil de tel ou tel type de contagieux ; la pharmacie centrale du camp est reconstituée. Bref, l'ensemble des services est réorganisé de façon cohérente.
Un des aspects les plus notables des efforts entrepris par les services français concerne la lutte contre les poux. Depuis des mois, les internés s'étaient attelés à ce problème sans pouvoir y trouver la moindre solution. Le chef de camp ne la trouvera pas davantage, mais au moins a-t-il le mérite d'avoir entrepris quelque chose. En juillet 1941, il décide d'affecter une baraque de chaque îlot à la désinfection des pouilleux ; toute personne trouvée porteuse de vermine est tenue d'y séjourner jusqu'à la désinfection complète d'elle-même comme de son linge. Une telle mesure se révèle rapidement, sinon efficace, du moins dissuasive. Pour éviter d'être ainsi placé dans une sorte de quarantaine humiliante, les Gursiens s'attachent davantage à la propreté de leur corps et de leurs habits ; ceux qui n'en ont cure, toujours les mêmes, sont en quelque sorte forcés à la propreté. Mais les poux et les punaises n'en disparaissent pas pour autant.
Un combat de tous les instants contre la saleté
Décrire la lutte quotidienne menée par les médecins, français ou internés, contre la saleté et la maladie est presque impossible, tant la tâche est immense et tant les mesures prises sont variées. A la mauvaise saison, ils sont constamment sur la brèche. D’abord, dans les baraques : visites, consultations, premiers soins, paroles d'apaisement, heures entières passées à écouter les doléances des uns et des autres, arbitrages rendus sur les discussions que fait naître la nécessité de réserver les meilleures places de la chambrée aux malades, appel à toute heure du jour et de la nuit. Ensuite, à l'infirmerie d'îlot : surveillance et traitement des malades, interventions simples, consignes au personnel soignant. Enfin, à l'hôpital central : réunions-bilans sur l'état sanitaire de l'îlot, négociations avec les représentants des services français en vue d'obtenir tel médicament ou tel instrument, parfois soins aux malades, opérations. Sans parler des continuelles allées et venues entre l'îlot et le premier quartier, des innombrables formulaires à remplir, des consultations spéciales demandées par le personnel français, etc... Un travail éreintant qui justifie la confidence faite à Hanna Schramm par le médecin de son îlot : « J'ai merveilleusement bien dormi cette nuit ; c'est la première fois que personne ne m'a envoyé chercher. » (4)
Infirmiers et infirmières internés, confrontés aux situations les plus inattendues, sont contraints de se dépenser sans compter. La façon dont ils s'acquittent de leur tâche leur vaut généralement l'estime et la reconnaissance de leurs compagnons. Pourtant rares sont ceux qui avaient déjà exercé une telle activité avant leur arrivée à Gurs. Il s'agit presque exclusivement de volontaires formés sur le tas, au contact des médecins internés, des malades, puis, plus tard, des infirmières françaises d'îlots. Hanna Schramm décrit leur travail, en août 1940, dans les termes suivants :
« Nos quatre infirmières formaient une équipe magnifique. Doris, vingt ans, distribuait les médicaments et accompagnait les médecins lors des visites. Paula, petite et rondelette, toujours en mouvement, était d'une gentillesse extrême. Annie était la femme d'un chef d'orchestre et elle-même chanteuse débutante. Toutes deux allaient et venaient sans arrêt entre les lits et les toilettes, lavaient les malades, vidaient les bassins, nettoyaient le linge sali ; c'était à l'époque un travail de Sisyphe. Quant à Steffi, elle faisait la cuisine. Elle savait préparer avec rien ou presque des repas savoureux. » (4)
La lutte n'est pas seulement le fait du personnel soignant. Il faut aussi souligner le rôle fondamental des chefs de baraques. Ce sont eux qui animent, en fait, l'incessant combat mené contre la saleté et les parasites. L'étendue de leurs compétences est considérable : ils organisent les tours de nettoyage, désignent les équipes de service, contrôlent leur besogne, stimulent ceux qui rechignent, tentent de convaincre les récalcitrants, surveillent la propreté des paillasses et des couvertures, interdisent, sauf cas de force majeure, l'usage du seau hygiénique, inspectent régulièrement les couvertures et les habits, coordonnent les chasses aux puces et aux punaises, rappellent à l'ordre ceux qui se négligent et ravivent leur énergie, adressent à l'intendance les demandes de fournitures de balais, savons, eau de Javel, etc... En un mot, ils assument l'essentiel de l'obscur et difficile travail qu'exige le maintien d'un minimum d'hygiène. Par temps de pluie, leur tâche est d'autant plus ingrate que les résultats sont à peine perceptibles : le plancher de la baraque est toujours souillé et des trésors de fermeté sont indispensables pour venir à bout de la torpeur qui engourdit la chambrée. Par temps sec, la propreté des locaux est inégale d'une construction à l'autre ; elle est fonction de l'influence qu'exerce le chef de baraque sur ses compagnons. En règle générale, cependant, les îlots de femmes sont mieux tenus que les îlots d'hommes.
Les efforts conjoints des médecins, infirmiers et chefs de baraques, même s'ils n'ont jamais abouti à une situation vraiment saine, ont au moins permis aux internés de ne pas vivre en permanence dans la crasse et la vermine. De ce point de vue, on peut dire que les résultats obtenus n'ont pas toujours été mauvais.
Une lutte inégale contre la maladie
Contre la maladie, la lutte des Gursiens se heurte longtemps à la pénurie de matériel et de médicaments. L'essentiel de la lutte est donc portée dans la recherche de médicaments.
Là encore, s'opposent deux périodes. Avant et après le terrible hiver 1940-41.
Le rabbin Léo Ansbacher ne parvient à organiser un véritable système de secours qu’à partir du mois de février 1941, lorsqu’il met en place le Comité central d'assistance du camp (CCA). Avant, c’est la pénurie et il faut se contenter parer au plus pressé, lorsque c’est encore possible. Les soins sont anarchiques. On prélève les médicaments dans les réserves personnelles des internés. Il en résulte de violentes disputes entre les intéressés, qui s’en trouvent eux-mêmes privés, et médecins d’îlot. Les mêmes oppositions apparaissent lorsqu’arrive dans la baraque un colis, contenant des médicaments, ou bien lorsque les ONG suisses ou américaines envoient les précieux produits. Les désordres qui résultent des interminables marchandages viennent encore ajouter au désarroi et à la misère du moment.
Pour mettre fin à ces situations sordides, les organisations juives décident, dans un premier temps, que leurs envois seront exclusivement adressées aux rabbins internés. C’est ainsi que plusieurs colis de médicaments, provenant du rabbin David Feuerwerker, replié à Brive, parviennent ainsi, fin décembre 1940, au rabbin Léo Ansbacher. D'autres suivront, venant des comités de parrainage de Périgueux et de Limoges. Comme, au même moment, les responsables des Œuvres philanthropiques parviennent à s’installer alors au camp et qu’ils procèdent à des distributions gratuites, gérées par les chefs d’îlots, les disputes disparaissent.
A partir du printemps 1941, la création du CCA vient apporter un peu d’ordre et d’apaisement. Désormais, le comité des frères Ansbacher devient le cœur de tout le système d'entraide. Son but est de coordonner la demande et la distribution des produits de première nécessité que l'administration française ne fournit pas. En ce qui concerne les médicaments, des stocks sont achetés par des organisations juives du Sud-Ouest, envoyés à Gurs où ils sont contrôlés par les services administratifs et entreposés au siège du CCA. De là, ils sont soit mis à la disposition des médecins internés, soit distribués dans les infirmeries d'îlots, soit même, pour les produits les plus courants, dirigés par l'intermédiaire de la Coopérative d'achats vers les cantines d'îlots où chacun peut en faire l'acquisition. Ce système simple, qui présente l'avantage de supprimer le marché noir, permet à tous les Gursiens, quel que soit leur niveau de fortune, de recevoir des remèdes adaptés au traitement prescrit.
Il est donc clair que les internés ont su partiellement pallier les lacunes de l'administration médicale du camp. Il faut souligner que les améliorations survenues en 1941, en ce qui concerne le ravitaillement en médicaments, sont directement liées à leur action et que les services français n'y ont guère participé, Par la suite, la baisse des effectifs assurant aux Gursiens restés dans les baraques de meilleures conditions d'internement, le matériel et les médicaments du camp suffiront. Mais la pénurie des années 1940 et 1941 avait déjà produit ses funestes effets.
Le bilan de la lutte menée contre la saleté et la maladie est donc sombre. La vermine n’a jamais disparu durablement des baraques, la crasse n’a jamais cessé d’envahir les chambrées par temps de pluie, les épidémies de dysenterie n’ont jamais pu être jugulées, à l’entrée de chacun des trois hivers 1941, 1942 et 1943, et la déchéance dans laquelle ont sombré, faute de soins, certains internés, ne s’est jamais éteinte. La plupart des efforts sont restés vains, au grand désespoir des médecins qui assistent impuissants à l’hécatombe.
¹ Eugen Neter. “Erinnerungen an das Lager Gurs, in Frankreich”, dans le Journal de liaison du consistoire des Israélites du Pays de Bade, Karlsruhe, 1961, p. 16.
2 Max Ludwig. Das Tagebuch des Hans O. Dukumente und Berichte über die Deportation und den Untergangdes Heidelberger Juden. Lambert Schneider. Heidelberg, 1965, p. 17.
³ Joseph Weill, Contribution à l'histoire des camps d'internement dans l’anti-France, CDJC, Paris, 1946, p. 42.
(4) Hanna Schramm. Vivre à Gurs. Un camp de concentration français. 1940-41. François Maspéro. Coll. Actes et mémoires du peuple. Paris, 1979, p. 108, puis p. 54.
Voir aussi Suzanne Leo-Pollak. Nous étions indésirables en France. Une enquête familiale. Traces et empeintes. Coll. Rappel. Paris, 2009, p. 91-115
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