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Les mutations vers les centres d’accueil (1940-43)

Si les transferts ne modifient en rien le statut des intéressés, qui demeurent des internés, quel que soit le camp dans lequel ils sont enfermés, il n’en va pas de même des mutations.

Ces dernières marquent un changement fondamental puisque les bénéficiaires ne sont plus claquemurés dans des camps, mais assignés à résidence dans des centres d’où ils peuvent sortir, marcher dans la rue et même rencontrer la population.

Il existe plusieurs types de centre d’accueil, les uns spécialisés dans un type précis de population, les autres destinés à l’émigration vers les Etats-Unis. Les envois d’hommes vers un groupe de travailleurs étrangers relèvent de la même logique.

6 965 mutations sont enregistrées entre octobre 1941 et novembre 1943, soit 38,3 % de l’ensemble des sorties.

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De longues démarches administratives

Les délais, avant que n’aboutisse éventuellement une demande de mutation se comptent habituellement en mois.

L'envoi dans un groupe de travail est toujours précédé d'une enquête administrative, en fait, quelques formulaires à remplir. Il peut être obtenu rapidement si l’intéressé est reconnu en bonne santé.

En revanche, la sortie vers un centre d'émigration est d'une telle complexité que les échecs sont fréquents. Il faut d'abord remplir une demande de libération auprès du chef de camp, puis obtenir les différents visas nécessaires : visa du pays d'accueil, visa de transit portugais pour les demandes vers les Etats-Unis, l’embarquement se faisant à Lisbonne, visa de transit espagnol lorsqu'on fait le voyage en train, visa de sortie de France. Mais pour que le consulat de Marseille délivre ces docu­ments, il faut avoir obtenu un affidavit (garantie financière et morale) d'un citoyen du pays d'accueil et posséder l'argent, en dollars, et les sauf-conduits nécessaires. Lorsqu’enfin la convocation du consulat est arrivée, le départ de Gurs peut être envisagé. Il ne reste plus qu'à se lancer dans l'expédition en espérant qu'à l'arrivée à Mar­seille, les délais de validité des visas n'auront pas expiré et qu'on pourra trouver un bateau pour Lisbonne.

Quant aux sorties vers les centres spécialisés, ils dépendent davantage du bon vouloir du chef de camp que des relances obstinées des délégués des ONG. Là encore, comme pour les transferts vers un autre camp, ils se heurtent à un véritable mur de documents administratifs, tous plus indispensables les uns que les autres, lorsqu’ils sont demandés par les internés, mais interviennent rapidement lorsqu’ils sont décidés par les services préfectoraux ou ministériels.

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Les incorporation dans un groupe de travailleurs étrangers (GTE) puis, à partir de juin 1941, les affectations aux chantiers Todt

Ils représentent à eux seuls 2 820 départs, soit 40,5 % des mutations.

Chronologiquement, les incorporations dans un GTE datent surtout de 1941. A cette époque, en effet, les hommes d'âge mûr sont encore nombreux à Gurs et les services de la main-d'œuvre de Vichy puisent abon­damment dans la population du camp pour constituer des groupes de travail. Avec le retour de l’hiver, en revan­che, la situation se modifie, les internés de Gurs étant souvent incapa­bles de fournir des efforts physiques répétés. D'autres formes de mutations doivent être envisagées, le départ vers un centre d'accueil, par exemple.

À l’été 1942, nouveau changement : les internés ces­sent d'être dirigés sur tel ou tel groupe précis pour rejoindre désormais le seul 2ème groupement régional de Toulouse. Le premier convoi pour Toulouse date du 3 août 1941 et concerne 242 internés, spécialement accom­pagnés pour ce voyage par le chef de service du recrutement et de la main-d'œuvre du département. Mieux, d'anciens GTE sont dissous et les ouvriers transférés à Toulouse. Or c'est précisément à ce moment et dans le groupement de cette ville que l'organisation Todt puise désormais les hommes dont elle a besoin pour ses chantiers de l'Atlanti­que. Nombre de réfugiés se rendent alors compte que la mutation dans un GTE est une tromperie, qu’il convient d’éviter. Ils n'y peuvent mais, et les hommes déclarés aptes sont systémati­quement envoyés à Toulouse.

En 1943, Vichy ne cherche même plus à sauvegarder les apparences : les 370 Gursiens recrutés comme travailleurs étran­gers sont directement expédiés aux chantiers Todt, à Bordeaux, La Palice ou Lorient.

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L'envoi dans un centre d'émigration

Avec 1 940 départs, ils correspondent à 27,8 % des mutations, mais seulement 8,9 % de l’ensemble des sorties..

Ils datent presque exclusivement de 1941, année pendant laquelle les Etats-Unis acceptent encore de rece­voir des réfugiés. S’ils constituent une forme de sortie particulièrement recherchée par les internés, ils n’ont cependant rien de certain, puisque le tiers d‘entre eux se solde par un échec. N'arrivant pas à s'embarquer à Marseille, ils ont finalement été renvoyés dans le centre béarnais et réinternés.

L'extraordinaire complexité des formalités à accomplir et la len­teur des services administratifs expliquent la plupart des déconve­nues. Mais l'évolution de l'attitude du Département d'Etat améri­cain accroît encore le nombre des difficultés. Jusqu'au 1er juillet 1941, en effet, il n'y a pas de problème particulier : toute personne convo­quée à Marseille reçoit son visa du consul. Il ne lui reste plus qu'à attendre l'embarquement, soit au camp des Milles s'il s'agit d'un homme, soit dans les hôtels Terminus et Bompard, puis à l'Hôtel du Levant, s'il s'agit d'une femme. Presque toujours, le candidat réussit à partir. Après le 1er juillet, tout change. Le gouvernement améri­cain, devant l'avalanche des demandes de visas qui ne cessent d'affluer, modifie le processus d'octroi : désormais le consul de Mar­seille se contentera de transmettre les demandes à Washington et c'est le Département d'Etat qui délivrera les visas après examen, cas par cas, des dossiers des postulants. Il en résulte un ralentisse­ment considérable du rythme des sorties : pendant le premier semes­tre de 1941, 1 506 Gursiens sont dirigés vers Marseille, 258 seule­ment pendant le second. En 1942, les dangers de la navigation sur l'Atlantique limitent encore les possibilités d'embarquement et le flux se tarit complètement à l'automne. Bref, émigrer était déjà chose difficile en 1941, d'autant que les autorités portugaises accep­taient mal la présence d'une masse d'hommes et de femmes en ins­tance de départ dans les hôtels de Lisbonne ; cela devient presque impossible dans le courant de l'année 1942.

A Gurs, la HICEM. (HIAS-JCA Emigration) est représentée par un correspondant permanent, Siegbert Plastereck. Il a pour tâche de réunir les pièces indispensables aux dossiers, de les faire parve­nir à la HICEM de Marseille et de coordonner les démarches des postulants.

A Marseille, le Centre américain de secours (CA.) mène paral­lèlement une action déterminante en faveur de certains Gursiens. Cette organisation, émanation de l'Emergency Rescue Committee d'Eleanor Roosevelt, est animée, de 1940 à 1942, par Varian Fry et Daniel Bénédite. L'activité débordante de ces deux hommes, qui multiplient les interventions à tous les échelons de l'administration vichyssoise, qui négocient les transferts au camp des Milles, consti­tuent les dossiers d'émigration, financent et préparent les sorties de France, permet de sauver quelques-uns des Gursiens les plus notoi­res.

Ainsi partent, presque tous au cours des premiers mois de l'année 1941, des professeurs de réputation internationale comme le méde­cin Oscar Goldberg, de l'Université de Berlin, ou l'écrivain Peter Pringsheim (beau-frère de Thomas Mann), de l'Université de Munich ; des musiciens célèbres comme le compositeur Erich-Itor Kahn, le pianiste Heinz Jolies, la harpiste Wanda Landowska, le chanteur lyri­que Paul Herzog, l'éditeur de musique Edgar Arendt ("Arnetti") ; des artistes comme le peintre polonais Jacques Lipschitz ; des savants comme l'astrophysicien Kurt Grelling, le chimiste Georg Frank ; et même des hommes politiques comme le secrétaire du Parti social-démocrate Walter Benninghaus¹.

Les 1 940 Gursiens qui ont eu la chance de pouvoir atteindre un des centres d'émigration marseillais sont surtout des hommes : 1 537 (pour 403 femmes seulement). La plupart sont des Cypriennais qui avaient déjà entrepris les démarches dès l’été 1940. Presque tous demandent à partir pour les Etats-Unis, plus rarement pour l’Amérique latine.

Enfin, il n'est pas sans intérêt de constater que les directeurs des centres d'émigration ne voient guère débarquer les Gursiens d'un bon œil, car « chaque nouvelle arrivée amène des microbes et des poux », comme l’écrit, le 9 mars 1942, le secrétaire général de la commission des camps à Vichy. Une remarque qui en dit long sur l'état sanitaire du cen­tre béarnais par rapport aux autres camps de la zone non-occupée.

A partir de l'été 1941, les possibilités de mutations dans un centre d'émigration devenant de plus en plus aléatoires, une autre solution leur est peu à peu substituée : l'envoi dans un centre d'accueil.

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L'envoi dans un centre d'accueil

Leur nombre est sensiblement identique au précédent : 1 950, soit 28 % de l’ensemble des mutations.

Ce type de sortie n’apparait que vers la fin de l’année 1941, à une époque où les centres d’émigration deviennent impossibles à atteindre. Elle dépend essentiellement alors d'initiatives personnelles dont les motivations sont souvent religieuses. Par exemple, celle de l’abbé Glasberg qui réussit à obtenir de Bousquet, secrétaire général à la police, l'ordre de mutation de 32 femmes de Gurs vers le centre de Chansaye².

En 1942, les envois vers les centres d’accueil se font plus fréquents. Le financement est assuré par les internés eux-mêmes ou par les ONG du camp, à commencer par l'UGIF. Les départs ont lieu :

- pour les juifs allemands, vers Villemur (Haute-Garonne), Cazaubon (Gers), Douadic (Indre), Tombebouc (Lot-et-Garonne) et Pont de Manne (Drôme)

- pour les juifs autrichiens, vers Ceyzerieu (Ain)

- pour les juifs hollandais vers Châteauneuf-les-Bains (Puy-de-Dôme)

- pour les juifs polonais vers Lourdes (Hautes-Pyrénées), La Meyze (Haute-Vienne) et Pomponne (Lot-et-Garonne).

Les enfants sont dirigés, avec leurs mères, vers les centres de de l’OSE (Organisation de secours aux enfants) comme le château de Masgelier (Creuse), celui de Chabannes à Saint-Etienne-de-Tursac (Creuse) ou la maison des pupilles d'Aspet (Haute-Garonne). Ils y jouis­sent de conditions de séjour satisfaisantes, d'une alimentation correcte, surtout si on la compare à celle de Gurs, mais leur sécurité n'est jamais assurée de façon certaine. Au moment des grands convois d'août 1942 et février 1943, plusieurs centres sont vidés et leurs pensionnaires réinternés, puis déportés.

Parmi tous ces départs, l’un d’eux intrigue particulièrement les historiens. Il s’agit du convoi Laruns-Guéret, qui a vu le transfert des quelques 400 personnes provenant du centre d’accueil des Eaux-Bonnes (Pyrénées-Atlantiques) vers diverses petites communes rurales du nord de la Creuse, 18 janvier 1943. Toutes ont pu se cacher pendant plusieurs mois et éviter les déportations. L’importance du transfert, sa date, à une période où les juifs de la zone non-occupée sont systématiquement déportés, et son issue posent un problème auquel on n’a pas encore trouvé, à ce jour, de réponse certaine.

En définitive, les centres d'accueil ont souvent représenté des palliatifs. Créés pour trouver une solution de rechange aux centres d'émigra­tion, ils n'apportent souvent aucune réponse défi­nitive. Pourtant ils constituent l'unique bouée de sauvetage à laquelle les internés peuvent encore s'accrocher, à partir de l'été 1942.

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L'hospitalisation dans un établissement spécialisé

Ils sont peu fréquents et surtout, particulièrement redoutés.

Etant donné que le camp dispose de son propre établisse­ment hospitalier, étant donné que les internés les plus faibles sont habituellement transférés dans les camps-hôpitaux de Noé ou du Récébédou, l'envoi dans un centre de soins témoigne d'un état par­ticulièrement grave. Il ne s'agit pas pour autant de personnes à l'arti­cle de la mort, car celles-ci sont conduites à l’hôpital du camp jusqu'à la fin de leur agonie. Il s'agit de malades incurables qu'on ne peut ni laisser dans les îlots, ni soigner sur place : les tuber­culeux, dirigés sur le sanatorium surveillé de La Guiche (Saône-et-Loire) et les aliénés mentaux sur les asiles de Limoux (Aude) et Lannemezan (Hautes-Pyrénées). De telles sorties ne sont pas rares : 255 en trois ans. Leur issue est presque toujours fatale.

En définitive, les 6 965 mutations ont entretenu l’espoir de pouvoir quitter le camp. Si, dans leur majorité, elles ont permis de sauver leurs bénéficiaires, elles ont aussi provoqué beaucoup de désillusions. Car les intéressés sont toujours demeurés des indésirables et n’ont jamais vécu en sécurité dans les centres où ils étaient mutés.

 


 

¹ Cette liste, confirmée par les archives du camp, nous a été communiquée par M. Daniel Bénédite lui-même.

² Jacques Duquesnes, dans Les catholiques français sous l'Occupation, Grasset, Paris, 1966, p. 268,

 

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