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Les déportations (1942-43). Description

Les « départs en convoi vers une destination inconnue », pour reprendre la terminologie administrative du camp, constituent les événements les plus marquants de toute l'histoire de Gurs.

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Les six déportations de Gurs

En sept mois, du 6 août 1942 au 3 mars 1943, six convois ont expédié vers Drancy, ultime étape avant Auschwitz et Maidanek, 3 907 Gursiens dont l'identité est parfaitement connue¹. Tous figurent au fichier du camp avec la mention « parti en convoi le... », sans mention de la destination.

Les six transports vers Drancy sont les suivants :

  • le premier (le 6 août 1942) : 800 hommes et femmes.
  • le second (le 8 août 1942) : 850 hommes et femmes.
  • le troisième (le 24 août 1942) : 60 hommes et femmes.
  • le quatrième (le 1er septembre 1942) : 502 hommes et femmes.
  • le cinquième (le 27 février 1943) : 925 hommes et femmes.
  • le sixième (le 3 mars 1943) : 770 hommes.

Ces convois s'inscrivent dans le cadre de la politique d'extermi­nation des Juifs décidée le 20 janvier 1942 lors de la conférence de Wannsee par Hitler et les hauts dignitaires nazis. En France, les conséquences de la décision de Wannsee ne se font pas attendre : les déportations commencent en mars 1942 en zone occu­pée et au mois d'août en zone non-occupée¹.

Les quatre premiers transports (août-septembre 1942) ont été préparés par le capitaine Danneker lui-même, lors de sa visite au camp le 18 juillet 1942. Danneker, ancien chef du camp de Drancy, est le chef à Paris de la section IV B 4 de la Gestapo et, à ce titre, l'organisateur de la répression anti­juive sur tout le territoire.

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Les premiers convois : les 6 et 8 août 1942

Ces deux premiers convois se déroulent dans un climat d'inquiétude difficile à décrire, comme le montrent les témoignages publiés dans Vivre à Gurs, op. cit., p. 154-176.

L'angoisse naît vers le 20 juillet, lorsque les chefs d'îlots apprennent qu'ils doivent fournir à l'administration de nouvelles lis­tes : listes par nationalité, par race, par religion, listes des conjoints d'Aryens, de ceux qui ont bien mérité de la France, etc... Comme aucun transfert ni aucune libération n'ont été annoncés, toutes les discussions portent bien vite sur l'interprétation qu’il convient de donner à une telle mesure. Quelques jours après, au début du mois d'août, mille indices laissent présager une funeste opération de grande envergure : les rafles effectuées à Paris et en province, les descentes de police dans les centres d'accueil et la situation au camp lui-même :

« L'ordre fut donné à toutes les femmes, à tous les enfants, aux sœurs et aux frères qui se trouvaient dans le camp de rejoindre leur mari ou leur père dans leur îlot. (...) Les issues de l'îlot furent bloquées et les gens de la compagnie de tra­vail qui n'étaient pas dans leur baraque mais dormaient et travaillaient à la Croix-Rouge durent retourner dans leur îlot d'origine, ainsi que le cuisinier de la maternité. Les fem­mes durent rejoindre les membres de leur famille mascu­lins ; quelques-unes étaient bouleversées : "C'est tout à fait comme en Allemagne, disaient-elles. C'est ainsi que cela a commencé. » (Louis Degen, Vivre à Gurs, p. 156-157)

Le 5 août, les brigadiers-chefs des gardiens entrent dans les îlots, listes à la main, et lisent, par ordre alphabétique, les noms de ceux qui doivent partir. Seuls les Juifs dont le nom commence par une des treize premières lettres de l'alphabet, de A à M, sont appelés. Ils doivent faire immédiatement leur valise, comme pour un trans­fert, et se présenter avant la fin de l'après-midi au secrétariat général du camp. Ils y récupèrent leurs titres de séjour et les objets de valeur qu'ils avaient laissés au greffe. On en profite évidemment pour fouil­ler les bagages et confisquer les quarts, les couverts et les couver­tures qui avaient été fournis par l'administration et que certains ten­tent d'emporter avec eux. Puis tous les déportables sont rassem­blés à l'intérieur des deux grands hangars Bessonneaux aména­gés de part et d'autre de l'entrée principale. Ils sont surveillés par les gardes noirs, c'est-à-dire les troupes de la gendarmerie natio­nale convoquées pour la circonstance, de préférence aux gardes bleus (gendarmerie départementale). Ils demeurent dans les hangars pendant une partie de la nuit, jusqu’à ce que, au petit matin, les camions viennent les chercher. Il s’agit des gros camions Dodge avec lesquels ils avaient été conduits au camp, quelques mois ou quelques années auparavant. Ils feront la navette entre Gurs et la gare d'Oloron pendant toute la matinée du 6.

La traversée du camp par ceux et celles dont le nom a été appelé a laissé un souvenir terrible à tous les internés qui, n'ayant pas été désignés, se contentent de suivre de leur îlot l'interminable cor­tège. Ils sont écartelés entre le soulagement de ne pas avoir été appelés et la souffrance de voir partir leurs compagnons de chambrée. Ils redoutent surtout que leur propre tour n’arrive bientôt.

Le défilé des internés amaigris, jeunes et vieux, couverts d'habits élimés, traînant derrière eux un misérable balu­chon ou une mauvaise valise, d'où pendent les bouts de ficelle qui ont permis de la fermer, a quelque chose d’hallucinant. Sous la chaleur du mois d'août, les déportables marchent en petits groupes. Les plus âgés s'arrêtent sou­vent pour poser leur paquetage ou pour souffler un peu. Tous avancent en silence, regar­dant à droite et à gauche, faisant parfois un signe à un ami resté au camp. Ils semblent résignés.

Les "gardes noirs", répartis tout au long de la route centrale, aident ceux qui trébuchent à se relever, les uns sont vaguement gênés, les autres, les plus nombreux, indifférents.

A l'entrée principale, sous les "Bessonneaux", le hangar de gau­che réservé aux hommes et celui de droite aux femmes, l'atmosphère a quelque chose d'irréel. Les futurs déportés attendent, effondrés. Toute visite est interdite. Seules les personnes appartenant aux Œuvres ont le droit d'assister ces hommes et ces femmes qui ont du mal à comprendre ce qui leur arrive.

« Je demandai l'autorisation de passer la nuit avec eux. On me l'accorda. Ils étaient là, assis par terre ou sur leur pau­vre baluchon, consternés, affaissés, immobiles. Ils semblaient avoir perdu toutes leurs forces, toute possibilité de s'expri­mer. Quelques-uns avaient l'air déjà morts, d'autres avaient un faciès d'agonisant. Certains réagirent et me dirent : "C'est ainsi que la France nous traite ?". Je cherchai des figures de connaissance. Beaucoup étaient devenus mécon­naissables en quelques heures. Dans un petit tas affalé par terre, je reconnus Mlle Gertrude, l'assistante sociale avec qui j'avais organisé des causeries dans les îlots. Je me pen­chai vers elle : "Me reconnaissez-vous ?". Pas un mot, pas un signe, pas un mouvement. (...) Dans le fond, je reconnus deux silhouettes droites, impeccables dans leur uniforme d'infirmière, l'insigne juif bien en vue. Je leur dis mon admi­ration de les voir ainsi. Elles répondirent :. "L'Eternel est avec nous" et elles récitèrent le psaume CXXX "Des pro­fondeurs de l'abîme, je t'invoque, ô Eternel". Les larmes envahirent mes yeux. Puis le convoi fut embarqué »³

Le 8 août est organisé le second convoi, en tous points compa­rable au premier. Il concerne les Juifs dont le nom commence par une lettre de la deuxième partie de l'alphabet, de N à Z. Comme celui de l'avant-veille, il se déroule dans un climat très particulier, où la résignation se mêle à l'inquiétude, où le silence devient oppres­sant dans toutes les chambrées désormais à moitié vides. Les ges­tes de révolte sont exceptionnels. Les déportés se soumettent aux injonctions des gardes noirs en soupirant, en maugréant, parfois en s'excusant de ne pas marcher assez vite. Dans tous les cas, ils obéis­sent, comme vaincus par le poids du malheur qui les accable.

En tout, entre le 6 et le 8 août, 1 650 Gursiens sont ainsi déportés.

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Le troisième convoi (24 août 1942)

Il concerne 60 internés : 30 hommes et 30 femmes. La liste nominative est conservée dans la lettre adressée le 15 janvier 1949 par le préfet des Basses-Pyrénées au ministre des anciens combattants et victimes de guerre.

Il se déroule dans des conditions très différentes de celles des semaines précédentes, comme le soulignent deux témoins français, Georges Dachary, ingénieur du service des ponts et chaussées, et Max Turrier, employé au service des subsistances du camp.

Les internés affichent, en effet, un comportement hostile, allant même jusqu’à contester les consignes données. À la morne résignation des premiers jours succèdent désormais un émoi et un mécontentement croissants.

Le défilé des déportés le long de l'allée cen­trale suscite un profond malaise dans les îlots, auprès de ceux et celles dont le nom n’a pas été appelé. Les premières manifestations écla­tent. Les gardes noirs sont apostrophés. Les internés leur reproche leur présence au camp, ou bien la sinistre besogne à laquelle ils se livrent, ou bien leur passiveté devant telle vieille personne courbée sous le poids de ses bagages. Les plus alertes des internés fran­chissent le réseau de barbelés et, malgré l'interdiction, tentent d'accompagner leurs parents ou leurs amis jusqu'au premier quar­tier. Ils se heurtent aux gardes qui leur intiment l'ordre de rejoindre les îlots, souvent en vain. Le ton monte, l'altercation se propage, de nou­veaux détenus viennent prêter main forte aux premiers, dans un grand concert de cris et de larmes. Des coups sont même échangés, dont l'effet immédiat est de décupler l'ampleur des protestations. Bref, le camp tout entier est en proie à une telle effervescence que les services de gendarmerie consentent bon gré mal gré à laisser les déportés se faire accompagner par leurs proches. Un tel résultat, ressenti comme une victoire par tous les internés, aboutit en fait à une étonnante situation : gardiens et internés unissent momentanément leurs efforts pour faciliter la marche des déportés vers l'abîme.

Sous les hangars où les hommes et femmes commencent à s'entasser, le climat, là encore, n'a plus rien de commun avec celui des premiers convois. Déjà chauffés par les incidents survenus le long de l'allée centrale, les déportés font preuve de mauvaise humeur. Les gardes noirs sont injuriés et les services français maudits. Partout la tension monte. Au moment de l'embarquement dans les camions, des crises de nerfs éclatent. Les premières tentatives de suicides sont enre­gistrées : certains, les poignets tailladés, doivent être immédiate­ment conduits à l'hôpital central, tout proche du lieu de rassemble­ment. D'autres constituent des groupes de prières qui reprennent sans cesse les chants et les hymnes sacrés. En un mot, des réac­tions se manifestent, un début de résistance apparaît.

Le nouveau chef de camp (il vient d'entrer en fonction) est fort mécontent. Bien sûr, l'opération a été menée à bien. Mais les désor­dres du 24 août ont eu de fâcheuses répercussions sur l'atmosphère des îlots et il ne convient pas que de tels faits se reproduisent. C'est pourquoi il décide d'organiser différemment le convoi du 1er septem­bre et de veiller personnellement à son bon déroulement.

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Le quatrième convoi (1er septembre 1942)

Il est organisé dans la nuit du 31 août au 1er septembre et concerne 502 hommes et femmes.

Dans son compte-rendu adressé le 1er septembre à l'inspecteur général des camps, le chef de camp le décrit ainsi :

« Les opérations de départ se sont déroulées ainsi :

1- Ouverture de l'îlot E, exclusivement destiné au départ et comportant autant de baraques que de wagons composant le convoi (18).

2- Rassemblement des hébergés dans l'îlot E pendant l'après-midi du 31.

3- Formalités diverses et affectation d'une personne des Oeu­vres par baraque.

4- Rassemblement des hébergés par affinité ou par famille à raison de 27 à 29 par baraque.

5- Repas du soir.

6- Etablissement des listes, baraque par baraque. Examen des cas douteux.

7- Le départ a commencé à minuit et s'est poursuivi jusqu'à 5 heures 30, un car chargeant le contenu d'une baraque. Aucune difficulté particulière n'a été à signaler. »

Ce rapport témoigne de l’esprit de méthode et du sens de l'organisation caractéristiques du nouveau chef de camp. Il confirme également l’absence totale de sentiment humanitaire à l'égard des dépor­tés (« un car chargeant le contenu d'une baraque »), fréquemment dénoncé par ailleurs. Quant à la der­nière phrase, elle ne reflète pas la réalité. Tous les témoignages, et en particulier ceux des témoins français cités précédemment, attes­tent en effet que la journée du 31 août 1942 fut l'une des plus dures de l'histoire du camp.

Elle débute, au petit matin, par le sinistre cri, répercuté immé­diatement dans toutes les baraques : « Les noirs sont là ! » (les gen­darmes nationaux, en uniforme noir). C'est le signal qu'un départ vers une destination inconnue est imminent.

Gardes et gendarmes bouclent les deux camps, celui des hommes et celui des femmes, avec ordre de ne laisser sortir personne. En début de l'après-midi, commence l'appel des futurs déportés, à l’entrée de chaque îlot, dans une atmosphère d'excitation extraordinaire. Cette quatrième déportation en un mois n'est-elle pas le signe que personne n'y échappera ? C'est ensuite le retour à l’intérieur des baraques, les préparatifs de départ, les valises à faire, tel objet à récupérer, tel autre à restituer, la sortie de l'îlot et la mise en route vers l'îlot E, le tout entrecoupé de crises de nerfs, d'explo­sions de larmes, d'anathèmes jetés sur les services français, de bous­culades, de tentatives de suicides (« c'étaient toujours les mêmes per­sonnes qui essayaient de se suicider » dit Heini Walfisch²). Certains se cachent derrière les tinettes, dans les cabines de dou­ches, dans les fossés, au milieu des hautes herbes, sous le plancher des baraques, dans le plafond ou les placards des infirmeries. Pour les dénicher, le chef de camp, au cours de la soirée et durant la nuit, utilise des chiens.

À l'intérieur de l'îlot E, îlot de départ, règne la même efferves­cence. Chacun cherche à obtenir des nouvelles d'un parent ou d'un ami et tente d'être mis dans la même baraque que lui, mais ce n'est pas toujours possible. Et puis, surtout, commence un incroyable mar­chandage entre les Œuvres et l'administration du camp. Certaines catégories d'internés, en effet, ne sont pas déportables en août 1942, comme l’indique la liste dressée le 26 juin 1942 par la circulaire confidentielle IV J - SA du capitaine Danneker (CDJC CCXVIII) : les jeunes de moins de 16 ans, les vieillards de plus de 65 ans, les con­joints d'Aryens, les malades intransportables et les Juifs d'origine anglaise ou américaine. Or il arrive fréquemment que des person­nes appartenant à ces catégories soient incluses par erreur sur les listes. Une fois avertis, les délégués des Œuvres interviennent auprès du chef de camp pour que la loi soit effectivement appliquée et que les non-déportables quittent l'îlot E. Il leur est systématiquement répondu : « Si vous pouvez trouver quelqu'un qui le remplace, il ne partira pas »². On en arrive donc à cette aberrante situation de voir tel responsable de telle ONG rechercher à travers le camp celui ou celle qui accep­tera de prendre la place du malheureux appelé par erreur. On finit la plupart du temps par le trouver : c'est un homme de plus de 65 ans dont la femme, plus jeune, a été inscrite sur la liste, c'est le jeune fils qui ne veut pas quitter sa mère ou son père. Ce véritable trafic d'hommes est ressenti par les délégués des ONG comme un des raffinements les plus sordides de la perversité vichyssoise.

Puis les camions entrent dans le camp, s'arrêtent devant la porte de l'îlot, chargent les déportés, baraque par baraque, et repartent vers la gare d'Oloron.

C'est enfin le convoi vers Rivesaltes, lieu de regroupement et ultime étape avant Drancy. Le voyage se déroule dans des conditions épouvantables, comme l'atteste le rapport du capitaine de gendarmerie Annou, commandant du convoi :

« Le train spécial du 1er septembre transportait un groupe­ment hétéroclite d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieil­ lards, de malades, d'infirmes abandonnés à leur sort dès le départ donné. (...) La masse était parquée sur la paille humide d'urine. Des femmes se désespéraient de ne pouvoir satisfaire des besoins naturels hors du regard d'inconnus. Des évanouissements dus à la chaleur et aux odeurs déga­gées ne purent être traités. Le spectacle de ce train impres­sionna fortement et défavorablement les populations fran­çaises non juives qui eurent à le voir, dans les gares en particulier. (4)

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Les deux derniers convois, des 27 février et 3 mars 1943

Pendant cinq mois ensuite, les internés connaissent un répit : aucune nouvelle déportation ne vient bousculer leur fragile tranquil­lité. Il en va de même des autres camps de la zone non-occupée ainsi que de Drancy. Cette pause n'est nullement motivée par une quel­conque considération d'ordre humanitaire, mais simplement par les nécessités logistiques du moment : les Allemands sont alors con­traints d'affecter leurs trains au transfert de troupes et de matériel vers le front russe, où se déroule la bataille décisive de Stalingrad, et renoncent momentanément aux opérations poli­cières à l'intérieur des territoires occupés.

Les déportations des 27 février et 3 mars 1943 concernent 1 695 hommes et femmes : 925 le 27 février et 770 le 3 mars. Les listes nominatives des déportés sont conservées aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (lettre préfectorale du 15 janvier 1949). Nous n'avons pu recueillir le moindre témoignage oral d'un éventuel rescapé, ni trouver le moindre récit de témoin sur ces convois.

Les modalités administratives de l'opération sont exactement les mêmes que celles du 1er septembre 1942 : bouclage du camp par les gar­des noirs, transfert des déportés à l'îlot E, formalités diverses, départ du camp pendant la nuit.

Là encore les pires scènes se déroulent dont le camp béarnais, comme le suggère le rapport rédigé par le chef de camp quelques semaines, le 15 avril 1943. En effet, le préfet lui ayant demandé pourquoi 47 Juifs étrangers ont échappé aux convois, le fonctionnaire modèle de Gurs répond :

« 31 internés sont demeurés au camp indépendamment de notre volonté :

- 2 sur instructions téléphoniques de M. l'intendant de police.

-12 malades en traitement à l'hôpital (dont 5 tentatives de suicide), intransportables.

-16 qui se sont cachés et n'ont pu être retrouvés.

Le service d'ordre chargé de les rechercher en a débusqué plusieurs dizaines, mais on ne peut éviter ces dissimulations, surtout au cours de la nuit. Les cachettes les plus diverses ont été imaginées. Ainsi l'hébergé Robert Metzger a été retrouvé quelques jours après, à demi-asphyxié, cousu dans un matelas. »

Jeanne Merle d’Aubigné affirme : « le spectacle était si affreux que je vis des larmes couler sur le visage barbu de certains gendarmes entourant les camions dans lesquels on hissait les malheureux.»³

Le 3 mars, après la dernière déportation, le bilan est le suivant : 3 907 déportés, 2 884 hommes et 1 023 femmes. Les survivants se compteront en unités. Des scènes qui ont bouleversé la plupart des témoins Et puis, en Béarn, un silence à peu près total sur les faits eux-mêmes.

 


 

¹ La liste des 3 907 personnes victimes des déportations a été publiée par Serge Klarsfeld dans le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, 2012, et par Barbara Vormeier, La déportation des Juifs allemands et autrichiens de France, 1942-1944. La Solidarité, Paris, 1980.

² Rapport secret n° 1298/D adressé le 18 juillet 1942 par le chef de camp au préfet des Basses-Pyrénées. Ce rapport est conservé aux Arch. dép. des Pyrénées-Atlantiques et publié dans Hanna Schramm, Vivre à Gurs, François Maspéro, coll. Actes et mémoires du peuple, Paris, 1979, p. 361. Témoignage d’Heini Walfisch, p. 162. Témoignage de Franz Soel, p. 170

³ Jeanne Merle d'Aubigné, Les clandestins de Dieu. Cimade. 1939-1945. Le Signe. Fayard, Paris, 1968, p.78 – 79. Puis, p. 81.

(4) Rapport du capitaine de gendarmerie Annou transmis le 8 septembre 1942 au préfet du Lot, à destination du préfet régional de Toulouse (cité dans Robert Aron, His­toire de Vichy, t. 2, Livre de poche n° 1635-6, p.179). Ce rapport est intégralement publié dans L'Eclair des Pyrénées du 6 septembre 1945, p. 2.

 

 

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