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Le "Plan Madagascar" (automne 1940)

Les quelques 10 000 internements qui surviennent à la fin du mois d’octobre au camp de Gurs ne peuvent pas se comprendre si l’on ne les replace pas dans le contexte de l’époque.
À l’automne 1940, il n’est pas encore question de "solution finale de la question juive", c’est-à-dire de l’extermination des juifs (cette décision ultime ne sera prise qu’une quinzaine de mois plus tard, le 20 janvier 1942, à la conférence de Wannsee). L’antisémitisme nazi consiste alors en persécutions, déportations et exécutions sommaires.

L’opération grandiose de cet automne 1940, imaginée par le RSHA de Heydrich, est dénommée "Plan Madagascar". De quoi s’agit-il exactement ?

Camp de Gurs | Le "Plan Madagascar" (automne 1940) | Gurs (64)

Pour les nazis, comment se débarrasser des derniers juifs résidant dans le Reich ?

Plusieurs options sont envisagées au cours de l’été 1940. Soit l’internement dans des camps de concentration, comme c’est le cas pour toutes les variétés d’opposants, depuis 1933 ; mais cette solution apparaît trop lente et trop partielle. Soit le travail forcé dans des camps spéciaux ; mais, là encore, cette solution n’est pas assez expéditive et peut conduire à toutes sortes de sabotages. Soit la déportation massive hors des frontières de Reich. C’est cette dernière solution qui alors la faveur des stratèges de l’antisémitisme nazi.

Mais où déporter les juifs allemands ? Vers l’Est ? Vers l’Ouest ? Jusqu'alors, tous les déplacements de populations ont été organisés vers l'Est, vers la Pologne, l’Autriche ou la Tchécoslovaquie. Au printemps 1938, par exemple, le pays de Bade avait fait l'objet d'une première "purge" : les hommes âgés de plus de 18 ans qualifiés d'"indésirables non-Aryens", c'est-à-dire les Juifs polonais et dantzigois résidant dans le Land, avaient été arrêtés, conduits en gares de Mannheim et Stuttgart, convoyés jusqu'à la frontière orientale et rejetés dans leur pays.

Ces déportations vers l’Est étaient redoutées par tous les juifs encore présents sur le territoire allemand. Pour eux, c’était cela, la déportation. Jamais, jusqu’alors, il n’avait été envisagé une déportation vers l’Ouest.

Tout change au cours de l’été 1940.

Camp de Gurs | Le "Plan Madagascar" (automne 1940) | Gurs (64)Les nouvelles opportunités offertes par l’armistice avec la France

La défaite des armées françaises et l’armistice du 23 juin ouvrent, pour les responsables nazis, un large éventail d’opportunités. De nouvelles perspectives s’offrent désormais à la répression antisémite.

La France possède, en effet, un empire considérable, avec des territoires lointains, situés aux antipodes, peuplé de "races inférieures". Pourquoi ne pas utiliser les terres africaines, situées à des milliers de kilomètres du Reich, pour se débarrasser des juifs européens ? Pourquoi ne pas les expédier dans un lieu fermé, par exemple une île, facile à circonscrire et à isoler. Pourquoi ne pas utiliser Madagascar, qui semble réunir tous les avantages du projet : l’éloignement, l’immensité et la faible densité de population.

En outre, l’armistice a totalement bouleversé le statut territorial de l’Alsace et de la Lorraine, limitrophes de l’Allemagne. Ces deux régions ont été annexées et font désormais partie intégrante du Reich. L’Alsace et le Pays de Bade ont fusionné et, dès le 28 juin 1940, le nouveau Land a été placé sous le commandement unique du Gauleiter Robert Wagner, avec Strasbourg comme capitale. Il en va de même de la Lorraine, unie à la Sarre et au Palatinat, au sein d’un nouveau Land, le Gau Westmark. Le 7 août, un nouveau Gauleiter a été nommé à sa tête, Joseph Bürckel. Sa réputation d'homme à poigne est bien connue puisqu’il fut l'organisateur du plébiscite de 1935 en Sarre et le premier Gauleiter de l'Autriche après l'Anschluss.

L’administration de ces nouveaux Länder est entièrement assurée par les services nazis. Désormais, la législation en vigueur dans le Reich s’applique à l’Alsace et à la Lorraine, comme dans n’importe quelle autre région allemande.

Dès le mois de juillet 1940, Bürckel et Wagner expulsent des centaines de juifs opposants ou "suspects" résidant en Alsace-Lorraine, et les conduisent jusqu’à la ligne de démarcation, avec interdiction de rentrer chez eux. Fin septembre, ils sont chargés d’appliquer un projet qui se veut définitif, celui de vider leurs deux Länder, l’Alsace-Pays de Bade, d’une part, et le Gau Westmark, d’autre part, des juifs qui y résidaient encore.

Camp de Gurs | Le "Plan Madagascar" (automne 1940) | Gurs (64)Le "Plan Madagascar"

Il est mis au point et adopté par le RSHA (Sécurité du Reich) de Heydrich vers le mois de juillet 1940, sur une proposition de Hans Frank.¹

Son objet est de transformer l'île africaine de Madagascar en une sorte de gigantesque ghetto de 500 000 km², à l'intérieur duquel tous les Juifs arrêtés par les nazis ou leurs satellites seraient concentrés, sous le contrôle direct des SS. Il est prévu que 4 à 5 millions de Juifs européens y soient expédiés dans les trois années à venir. Hitler est, paraît-il, enthousiasmé à l’exposé de ce plan.

Comme l'île est colonie française, il convient d'obtenir l'aide active de Vichy, l’armistice ayant laissé le contrôle de l’empire colonial au nouveau régime. Mais comment douter de ce soutien, après les mesures antisémites qui viennent d'être prises en zone non-occupée ? Ces mesures n’annoncent-elles pas l’alignement des positions vichyssoises sur celles des nazis ? La préparation, puis la promulgation du Statut des Juifs ne sont-elles pas le signe tangible de la coopération de Vichy dans le domaine de la lutte contre les juifs d’Europe ? L’antisémitisme d’Etat pratiqué par Vichy sur une large échelle n’est-il pas la preuve d’une future collaboration, dans le domaine racial ? Dans ces conditions, il suffit d’expédier vers la France les juifs dont on veut se débarrasser, c’est-à-dire de les convoyer en gare de Chalon-sur-Saône, sur la ligne de démarcation. C’est tout bénéfice pour l’Allemagne et la France ne pourra pas se dérober.

Bien sûr, certains détails restent encore à régler. Mais pour les nazis, les incertitudes résident davantage dans les modalités du transfert vers Madagascar, puisque l’Atlantique est sous le contrôle militaire des alliés, que dans l’attitude du gouvernement de Vichy.

Durant l’été, le "Plan Madagascar" connaît un début de réalisation avec, d’abord, en juillet 1940, l’expulsion des juifs alsaciens vers la zone non-occupée puis, le même mois, l’expulsion des juifs luxembourgeois.

La livraison des juifs badois, sarrois et palatins à la France (Opération Bürckel), le 22 octobre, ne doit donc rien au hasard. Elle s’inscrit parfaitement dans ce projet grandiose. Elle en constitue même le véritable début, si l’on considère le nombre et l’origine des victimes.

On sait que, par la suite, l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS change complètement la donne. Plus question désormais de Plan Madagascar. A partir de l’automne 1941, toutes les déportations seront organisées vers l’Est et, en particulier, vers la Pologne. Puis, après Wannsee (20 janvier 1942), ce sera le programme d’extermination totale des juifs, centré sur le camp d’Auschwitz-Birkenau.

 

 

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