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1- L’opération Bürckel (22-25 octobre 1940)

L’opération Bürckel est l’expression qui désigne la déportation vers la France, les 22-25 octobre 1940, des derniers juifs allemands habitant encore dans le Pays de Bade, la Sarre et le Palatinat. Elle s’inscrit dans le cadre du "plan Madagascar".
Elle porte le nom de Joseph Bürckel, Gauleiter du Land Lorraine-Sarre-Palatinat. Pourtant, l’essentiel des victimes appartient au Land du Gauleiter Robert Wagner, responsable de la région Alsace-Pays de Bade, mais ce dernier ne fut qu’un exécutant, la conception de la rafle dans son ensemble revenant à Bürckel.

Camp de Gurs | 1- L’opération Bürckel (22-25 octobre 1940) | Gurs (64)

Une opération de police rondement menée

Les modalités de l’opération, définitivement arrêtées vers le milieu du mois d’octobre par le Hauptsturmfürher SS Adolf Eichmann², s’apparentent à celles des déportations de juifs organisées par les nazis depuis 1938. Elles reproduisent exactement les détails de l’opération menée au printemps 1938 contre les Polonais alors domiciliés au pays de Bade : arrestations aveugles, quels que soient l'âge, le sexe ou l'état de santé des personnes considérées, délais très brefs pour préparer les valises, interdiction d'emporter plus de 50 kilos de bagages, obligation de prendre une grosse couverture, des ustensiles de cuisine et une garde-robe complète, regroupement des victimes dans des écoles ou des gymnases, puis transfert en autobus jusqu'au lieu de rassemblement, les membres d'une même famille devant rester ensemble.

Laissons la parole à l’une des victimes, Paul Niedermann.

Entre trois et quatre heures du matin, on a frappé à la porte de notre maison. Là, devant nous, se tenaient trois agents de la Gestapo qui ont rugi :"Terminé ! Vous pouvez prendre avec vous ce que vous pouvez porter, coffre ou sac à dos. Vous avez droit d’emporter 100 Reichsmark."

Vingt minutes après : "Dehors !" On est sorti. Là, devant nous, se trouvait un petit camion bâché. À l’intérieur, il y avait des personnes que nous connaissions, du même quartier que nous. On nous a conduits directement sur le quai de la gare.

La nuit suivante, comme aucun train ne roulait, on entendait partout les rugissements des SS et de la Gestapo. Puis, nous sommes montés dans sept longs trains. "Montez ! Montez !" Et toujours les mêmes rugissements : "Celui qui descend sera abattu ! Celui qui aura emporté plus de 100 Reichsmark sera abattu !"

Nous étions là, écrasés de chagrin. Nous étions complètement perdus. Nous partons vers l’ouest ? Mais où ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? Qu’est-ce qui nous arrive ?

En effet, toutes les villes du Pays de Bade, de Sarre et du Palatinat sont soumises à une immense rafle, dans la nuit du 22 au 23 octobre. Les derniers juifs qui y résidaient sont réveillés au milieu de la nuit, rassemblés en toute hâte au pied de leur immeuble, conduits à la gare la plus proche, puis regroupés en gare de Mannheim. On compte 6 538 hommes, femmes et enfants.

5 667 proviennent du Pays de Bade, et 871 de Sarre et du Palatinat.

La circulaire de police fixant les modalités de l’opération précise que "chaque juif pourra prendre avec lui a) une valise ou un paquet contenant des vêtements; le poids autorisé par adulte est de 50 kg, par enfant de 30 kg ; b) un jeu de vêtements complet ; c) une couverture de laine par personne ; d) des provisions pour plusieurs jours ; e) de la vaisselle et des quarts ; f) 100 marks en argent liquide par personne."¹

Le convoi spécial est composé de neuf trains. Il part le 23, traverse le Rhin à Kehl, passe par Mulhouse et arrive dans la nuit à Chalon-sur-Saône, sur la ligne de démarcation. Il y reste plusieurs heures, le temps que les autorités de Vichy donnent finalement leur accord pour la suite du voyage, vers le midi de la France. Il repart vers Lyon, Nîmes, Narbonne, Toulouse et Pau et arrive le 24 au soir, à Oloron-Sainte-Marie.

Hasard de l’histoire, le 24 octobre est le jour de la fameuse poignée de mains entre Pétain et Hitler, à Montoire…

"Interprétant abusivement les accords conclus à Wiesbaden entre la commission allemande d'armistice dirigée par le général von Stulpnagel et la délégation française du gouvernement de Vichy conduite par le général Huntziger, accords qui avaient prévu le refoulement de tous les Juifs alsaciens et lorrains en zone non-occupée, les deux Gauleiter ordon­nèrent d'y déporter les Juifs badois, palatins et sarrois (…).

Les services de la Gestapo et des hommes appartenant aux SS accompagnèrent le convoi jusqu'à la frontière du territoire français. Le gouvernement de Vichy fut complètement pris au dépourvu par cette action. Il donna l'ordre de placer provisoirement les personnes expulsées dans le camp d'internement de Gurs, près de la frontière pyrénéenne."³

Camp de Gurs | 1- L’opération Bürckel (22-25 octobre 1940) | Gurs (64)

La réaction inattendue du gouvernement de Vichy

Cependant l'arrivée imprévue des "indésirables" allemands en territoire français n'engendre pas les réactions escomptées.

Contrairement à ce que les nazis avaient imaginé, le gouvernement de Vichy renâcle devant le fait accompli. Il proteste en affirmant qu’une telle mesure n’a jamais été prévue dans la convention d’armistice, qu’elle outrepasse les accords et qu’elle ne saurait être approuvée. Bien sûr, il ne peut laisser le convoi bloqué en gare de Chalon-sur-Saône, avec plus de 6 000 personnes à bord, mais il est hors de question qu’une telle opération se reproduise. Le 2 novembre, la commission française d’armistice dénonce officiellement, par la bouche du général Huntziger, une initiative qui n’a jamais été prévue dans les accords. Huntziger accepte la présence sur le sol français des 6 538 Badois, Sarrois et Palatins – d’autant plus qu’ils sont déjà arrivés à Gurs – mais refuse l’arrivée prochaine de 210 000 juifs originaires du Protectorat de Bohême-Moravie. Il invoque les dangers d’un transfert maritime vers l’île africaine, l’Angleterre étant maîtresse des mers. Il affirme que la France ne saurait accepter que l’opération soit renouvelée.

Devant une telle mauvaise volonté, les autorités nazies cherchent d'abord à modifier le plan, puis comprennent que "la solution de la question juive" ne pourra pas être trouvée avec le concours de la France de Vichy. C’est pourquoi elles lui substitueront, en janvier 1942, un autre projet grandiose, "la solution finale de la question juive".

En définitive, la déportation des Juifs badois, palatins et sarrois vers le midi de la France constitue la première, mais aussi l'unique phase de l'exécution du "Plan Madagascar".

Camp de Gurs | 1- L’opération Bürckel (22-25 octobre 1940) | Gurs (64)

Gurs, lieu final de l’Opération Bürckel. Pourquoi ?

La destination finale de l’opération, Gurs, peut paraître surprenante. Pourquoi ce petit village inconnu, situé au pied des Pyrénées ?

La réponse a déjà été partiellement fournie par ailleurs (voir Plan Madagascar). Pour l’essentiel, elle réside :

- au départ d’Allemagne, dans la germanisation totale que les deux Gauleiter Bürckel et Wagner veulent imposer aux territoires dont ils ont la responsabilité. L’"aryanisation" préalable exige, selon eux, que tous les juifs soient chassés des deux nouvelles provinces. D’où, l’Opération Bürckel du 22 octobre 1940, puis, dans un deuxième temps, les expulsions des Juifs alsaciens et lorrains, entre le 12 et le 22 novembre suivants.

- à l’arrivée en France, dans un concours de circonstances. Le 23 octobre, le ministère de l’Intérieur est confronté à un problème d’une urgence extrême : que faire des 6 538 hommes, femmes et enfants bloqués depuis quelques heures, à Chalon-sur-Saône, sur la ligne de démarcation ? La situation, à l’intérieur du convoi, devient dramatique, et les SS qui encadraient le transport sont en instance de départ. L’idée d’utiliser le camp de Gurs, largement vidé de ses internés "indésirables" depuis la fin de l’été est rapidement adoptée. Certes, elle ne correspond pas à la fonction de "camp semi-répressif" que le ministère vient d’assigner à Gurs dans sa note du 20 octobre 1940 ; les nouveaux venus ne sont pas dangereux et il n’est pas question de les réprimer brutalement ; mais le camp est disponible et immédiatement utilisable. On enverra donc les 6 538 victimes de l’Opération Bürckel à Gurs.

La destination de Gurs s’explique donc par un simple concours de circonstances. Il s’agit d’une décision de circonstance, prise en toute hâte, par opportunité, sans la moindre préparation préalable. Cette incurie devait se révéler lourde de conséquences, dans les semaines suivantes, pendant lesquelles plus de 800 décès seront à déplorer.

Camp de Gurs | 1- L’opération Bürckel (22-25 octobre 1940) | Gurs (64)

Quelle est la nature exacte de l’Opération Bürckel ? S’agit-il d’une déportation ?

Reste à répondre à cette importante question, considérée souvent comme iconoclaste dans le sud-ouest de la France.

La réponse de toute l’historiographie française et allemande (ou américaine) est unanime. Il s’agit bien d’une déportation. Une déportation vers l’ouest, vers la France. La seule du genre, certes, mais une déportation quand même.

Elle présente, en effet, toutes les caractéristiques des déportations précédentes, organisées par les nazis depuis 1938 : rafle nocturne, arrestations aveugles, encadrement par les SS, climat de terreur, temps de réaction des victimes réduit à quelques minutes, abandon sur place des devises ou objets précieux, regroupement et isolation totale dans les lieux de rassemblement, transfert en autobus jusqu’à la gare, entassement dans les trains, brutalités systématiques au cours du voyage, interdiction de séparer les familles, aucune information sur la destination, etc... Elle s’inscrit dans le cadre de la stratégie globale d’"aryanisation" du pays, visant à protéger la société allemande des ses éléments "impurs", en les expédiant hors des frontières. Elle ne reconnaît aux victimes aucun droit civique ou humain. Rien ne la distingue des autres déportations.

En Béarn, en revanche, la réponse est plus hésitante, aujourd’hui encore. L’argumentation peut être résumée ainsi : bien sûr, certains éléments évoquent une déportation, mais le terme est démesuré par rapport à la réalité, en effet, il n’y a pas eu de décès pendant le transport, les services français n’ont pas fait preuve de brutalités entre Chalon-sur-Saône et Gurs, la France a été mise devant le fait accompli, l’administration a été débordée, elle a fait ce qu’elle a pu, etc... Mais surtout, argument suprême, comment peut-on imaginer que la France, en général, et le Béarn, en particulier, puissent être des terres de déportation ? Ce n’est pas envisageable. Ajoutons qu’un tel discours s’accompagne souvent d’accusations d’auto-flagellation, de masochisme, voire d’antipatriotisme, à destination de ceux qui émettent une opinion différente.

Autant dire que le sujet, aujourd’hui encore, demeure polémique, soulève davantage d’émotion que de raison et demeure largement tabou.

 


¹ Sur le contexte historique de l'opération Burckel, voir Léon Poliakov, Bréviaire de la haine. Le IIIème Reich et les Juifs. Livre de poche n° 3834, p. 77-83.

² Selon Robert Kempner, Eichmann und Komplizen, Zurich, Europa Verlag, 1961, p. 109, Eichmann aurait monté toute l'opération avec l'accord d'Hitler et d'Himmler.

³ Peter Sauer, Dokumente über die Verfolgung der jüdischen Bürger in Baden-Württemberg durch das nazionalsozialistische Regierung. W. Kohlhammer, Stuttgart, 1966, vol. II, p. 237 et p. 232-233. L’auteur à l’intérieur, et il accepte exceptionnellement de les conduire vers un camp du sud de la France, expose dans le détail les modalités de l’opération et reproduit en particulier les instructions reçues par les fonctionnaires nazis du Palatinat.

 

 

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