Les activités artistiques (1940-1943)
S’il est un domaine dans lequel l’art atteint des sommets, dans les misérables baraques de Gurs, c’est bien celui des beaux-arts.
Le dessin, la peinture, l’aquarelle, le pastel, le lavis connaissent un développement exceptionnel, dans tous les îlots et dans toutes les baraques.
Deux ouvrages traitent du sujet avec précision :
- le catalogue de l’exposition présentée au musée de Viborg (Danemark) en 1989 : Gurs. En interneringslejr i Sydfrankrig (1939-1942). Tegninger, akvarellen, fotografier. Samling Elsbeth Kasser. 64 p.
- Claude Laharie. Gurs. L’art derrière les barbelés (1939-1944). Préface de Serge Klarsfeld. Editions Atlantica, Biarritz, 2007, 168 p.
Quelques artistes internés
Des dizaines d’internés dessinent et peignent dans les baraques. La plupart sont des artistes d’occasion, demeurés anonymes, qui nous livrent dans leurs dessins parfois malhabiles, des témoignages évocateurs et émouvants. À côté d’eux, on trouve aussi des artistes confirmés, comme ceux cités ci-dessous. Leurs œuvres sont parfois arrivées jusqu’à nous. Elles ont le mérite de montrer que Gurs devient, de 1940 à 1942, un véritable foyer de création artistique qui puise son inspiration dans les réalités de l’internement.
Lou Albert-Lazard, peintre et graveuse allemande, était déjà célèbre lorsqu’elle fut internée. Elle fut une amie de Rilke et avait exposé à plusieurs reprises avant la guerre. Elle arrive au camp en mai 1940 et n’y reste que quelques mois. Ses longues tuniques blanches, son grand chapeau de paille et ses tresses rousses la faisaient remarquer de loin, mais les femmes se pressaient pour poser pour elle.
Karl Borg, peintre et graveur allemand, décrit le froid et la misère de l’hiver 1940-41 comme aucun autre. Ses dessins à la plume expriment avec vigueur la vie quotidienne sordide des internés.
Leo Breuer, peintre allemand appartenant à la Sécession rhénane, professeur à Berlin, avait participé au début des années trente aux expositions de la Neue Sachlichkeit. On le retrouvera après la guerre parmi les Nouveaux Réalistes. Ses peintures de Gurs présentent une gravité sacrée, presque religieuse, qui évoque les souffrances du peuple juif.
Sigismond Kolos-Vary, peintre et graveur hongrois, avait appartenu dans les années vingt au groupe du Montparnasse de l’Ecole de Paris. Ses dessins brillants traitent de tous les aspects de la vie au camp, y compris des déportations. Il a laissé une extraordinaire série de dessins (M. Moustachu jardinier) réalisés à l’occasion du cinquième anniversaire de Juliette Minces.
Max Lingner, peintre et graveur allemand de Berlin, avait présenté plusieurs œuvres à l’exposition de Mannheim, en 1925, qui engendra Die Neue Sachlichkeit. Il avait été dénoncé par les nazis comme faisant partie des artistes dégénérés, avant de travailler à L’Humanité. Il a laissé une production abondante, d’où émerge une extraordinaire série de 24 dessins à la plume, intitulée Ceux de Gurs, qu’il parvint à sauver à sa sortie du camp et qui est conservée au musée de Viborg.
Kurt Löw et Karl Bodek, peintres et graveurs autrichiens de Vienne, sont inséparables dans la vie comme dans leur art. Plusieurs de leurs levis sont présentés dans les fiches précédentes. Ils étaient les décorateurs attitrés de la troupe Nathan, mais leur renommée auprès des internés provenait surtout des nombreuses cartes, pleines de fraicheur, qu’ils proposaient, à l’occasion des fêtes ou des anniversaires.
Horst Rosenthal est l’auteur d’une BD intitulée Mickey à Gurs. Son succès, ainsi que quelques-uns de ses dessins humoristiques, le rendirent célèbre dans tout le camp.
Erich Schmid, peintre viennois qualifié de dégénéré par les nazis, tente de développer l’expressionnisme abstrait qui le feront connaître après la guerre.
Karl Schwesig, peintre allemand de Düsseldorf, appartint lui aussi au groupe de la Neue Sachlichkeit et fit aussi partie de peintres qualifiés de dégénérés par les nazis. Son art expressionniste donne toute sa mesure dans la réalisation de miniatures, souvent macabres, et de timbres qui témoignent crument des aspects les plus sombres de la vie au camp.
Julius C. Turner, dessinateur et peintre allemand, était lui aussi considéré comme « dégénéré » par les nazis, avant la guerre. Ses sanguines éblouissantes constituent une étonnante galerie de portraits d’internés. Les membres du personnel français du camp le sollicitaient fréquemment pour qu’il réalise leur portrait ou celui de leurs enfants.
Il faudrait aussi citer plusieurs autres artistes moins célèbres, comme l’aquarelliste allemande Edith Auerbach, le peintre viennois Max Sternbach et ses affiches apposées au Secours suisse, etc...
Les témoignages d’une rare intensité
Les internés s’efforcent de faire connaître à l’extérieur, par tous les moyens dont ils disposent, la misère matérielle et morale à laquelle ils sont réduits dans le camp. Leur production artistique a pour fonction première de témoigner des souffrances du camp.
Dessins, aquarelles, peintures et lavis attestent de tous les aspects de la vie quotidienne, dans ses moindres détails : les arrivées incessantes de nouveaux internés (« toujours la même chose »), l’obsédante clôture de barbelés, le train des tinettes, l’îlot de représailles, les couples séparés, la crasse boueuse du sol, le marécage des îlots après la pluie, la toilette en public, les rations réparties précautionneusement, la queue pour un bol de soupe, la faim lancinante, l’épluchage minutieux des patates, la solitude dans le silence glacial des chambrées, l’attente dans l’obscurité, le courrier et son lot de mauvaises nouvelles, l’angoisse du lendemain, les enfants qui traversent le camp en chantant, la soupe chaude à la baraque du Secours suisse, le shabbat, le dénuement jusqu’à la mort, le transport des cadavres, la morgue parcourue par les rats, les déportations au petit matin…
Les artistes se contentent de décrire ce qu’ils voient, sans insister sur le détail sordide ni chercher les effets faciles. Au total, c’est un reportage d’autant plus impitoyable qu’il nous est présenté avec froideur, au premier degré, dans toute sa brutalité.
S’agit-il pour autant d’appels au secours ? Rien n’est moins sûr, tant les Gursiens savaient bien que leur production n’avait guère de chance d’être vue à l’extérieur. C’est plutôt un cri qui ne sort pas de la gorge, une bouteille jetée inutilement à la mer, en désespoir de cause.
Et pourtant ces implacables documents ne sauraient être réduits à leur message de désolation. Paradoxalement, il émane d’eux une force vitale et un désir d’exister qui reflète bien l’ambivalence de l’internement à Gurs. Dans la baraque du Secours suisse, Elsbeth Kasser, l’infirmière que les internés avaient surnommée l’ange de Gurs en raison de sa beauté et de sa douceur, avait fait apposer un panneau sur lequel on pouvait lire : « il vaut mieux allumer une lumière que de se plaindre de l’obscurité ». C’est un peu ce sentiment qui ressort des témoignages iconographiques du camp. Au-delà de la souffrance décrite dans les moindres détails, il demeure une volonté de dignité que rien ne saurait anéantir. Il ne s’agit pas de se complaire dans l’évocation du malheur, il faut montrer au contraire que les victimes de Gurs ont su garder toute leur humanité.
Plus fort que la persécution, plus loin que l’avilissement, une lueur vacille encore, que rien ne peut éteindre. C’est probablement cette ambivalence qui donne à certaines œuvres leur caractère insoutenable.
Au-delà du simple témoignage, une volonté de sublimation
Si l’œuvre d’art peut constituer un témoignage documentaire irremplaçable, elle ne saurait être réduite à ce seul aspect. À Gurs comme ailleurs, l’interprétation de l’œuvre d’art conduit bien au-delà de cette première lecture.
Les peintres de Gurs cherchent, comme les musiciens, mais dans le domaine qui leur est propre, à exprimer cette partie secrète d’eux-mêmes qui est au cœur de toute création artistique. Cette partie qui n’apparaît pas nécessairement au premier abord et qui demande une analyse minutieuse.
La plupart des tableaux montre qu’une même situation, par exemple l’attitude devant la pénurie alimentaire du camp, peut être traitée de façon très différente : soit en insistant sur la seule détresse, soit avec une pointe d’humour, soit en mettant l’accent sur un détail singulier, soit en dénonçant tel ou tel comportement. Les uns vont s’attacher à l’expression des visages, les autres à l’attitude du corps, d’autres encore à l’environnement hostile etc... Ces différences d’interprétation sont, en quelque sorte, naturelles puisqu’elles reflètent les personnalités de chacun des artistes. Elles ont le mérite d’éclairer le spectateur sur la démarche subjective du peintre, celle qui lui est spécifique, celle qui dépasse la simple description. Cette démarche constitue incontestablement l’aspect de l’œuvre le plus difficile à découvrir, c’est pourquoi il n’est pas question de tenter une telle analyse ici. Mais on peut essayer d’en déceler quelques ressorts. Il est clair, dans tous les cas de figure, qu’elle vise à révéler autre chose que l’immédiate apparence. Mais quoi exactement ?
Incontestablement les artistes de Gurs sont parvenus à puiser dans leur condition d’exclu une force qui a stimulé leur création. « La souffrance enfante des rêves comme une ruche ses abeilles » écrit Aragon. Le sordide du quotidien produit les mêmes résultats derrière les barbelés du camp. Une réaction de défense conduit certains internés à se réfugier dans leur art, la peinture, la musique ou la poésie. Ils y trouvent ce que Gurs ne leur offre pas : une élévation. Face à l’enfermement qui avilit, devant l’incompréhension de l’administration, devant l’indifférence des gardiens, ils s’efforcent de conserver quelques parcelles de leur dignité d’homme dans une sorte d’esthétisme apaisant. Ils passent des journées entières à réfléchir sur la composition la mieux adaptée au thème traité, le geste le plus évocateur, l’élément de décor le plus révélateur. La série des gravures de Löw et Bodek montre avec quel soin sont choisis certains détails, en particulier en ce qui concerne l’expression des regards et des mains. Le contraste saisissant avec d’autres détails, la poupée dans les bras de l’enfant mort, les rats qui s’enfuient dans les trous du plancher, le profil émacié des cadavres, confère à ce souci de perfection esthétique une puissance émotive exceptionnelle. Le spectateur a le sentiment de deux forces qui s’affrontent en permanence: d’un côté, l’aspect insurmontable des souffrances décrites et, de l’autre, la volonté silencieuse de les dépasser.
Cette puissance suggestive s’accompagne d’une profonde sincérité. L’internement révèle les personnalités dans toute leur nudité, sans aucun des fards de la vie sociale d’antan. Qualités et défauts s’étalent sans vergogne, tout au long de la journée, dans l’exiguïté des baraques, d’autant moins dissimulables qu’ils sont décuplés par la faim et l’angoisse. La vie quotidienne est montrée avec une effrayante sincérité, de manière tellement dépouillée qu’elle apparaît parfois brutale. Arrêtez-vous par exemple sur Les rations de pain, de Löw et Bodek. Observez le jeu des regards, la moue dubitative de certains personnages, l’inquiétude des autres, le soin méticuleux mis par l’officiant, le silence glacial qui entoure cette véritable cérémonie, le sentiment quasi religieux qui l’imprègne et qui pénètre peu à peu le spectateur lui-même ; tout ici frappe par son authenticité. Cette scène, répétée plusieurs fois par jour dans chacune des baraques, est présentée sans détours, avec un mélange de cruauté et de tendresse qui est la marque de la sincérité.
En même temps, les artistes ne manquent jamais de manifester que, malgré tout ce qui est enduré, malgré l’exaspération des uns et la torpeur des autres, un espoir demeure. Le camp ne parvient pas à briser l’énergie vitale des internés. Il l’use, l’affaiblit ou la met en sommeil, mais il ne parvient pas à l’étouffer. La vie demeure présente partout, sous toutes ses formes, contre vents et marées. Mieux, elle s’exprime avec une intensité d’autant plus grande que les menaces se font plus pressantes. Elle s’exprime dans l’affection des regards, dans la délicatesse de certains gestes, dans l’attention portée aux enfants, dans le soin prêté aux attitudes du quotidien, dans l’échange et la compassion. Son corollaire, la foi en l’avenir, ne peut être dissimulé.
L’art de Gurs reflète la complexité de l’âme humaine, avec ses moments de doute et ses sursauts d’espoir. Il exprime des sentiments simples, où il est question de tendresse et d’amour de la vie. Il montre les réalités impitoyables et indique la voie pour les dépasser. Il témoigne du malheur et il le transfigure. Il ne se complait pas dans la souffrance, il la sublime. Il refuse le désespoir et cherche à voir au-delà. Au-delà des baraques du camp, plus loin que les barbelés. L’art de Gurs est une fenêtre ouverte sur le monde extérieur.
Cette sublimation a été, pour les artistes réputés comme pour les peintres d’occasion, un des facteurs essentiels de leur survie au camp. Elle leur a procuré la substance même de leur existence.
Mais aux heures les plus sombres de l’histoire de Gurs, en 1942 et 1943, lorsque les déportations ont vidé les baraques, elle ne les a en rien protégés. L’art aide à vivre, mais il ne préserve pas de l’extermination planifiée.
Dessins d’enfants
Nous ne saurions terminer cette présentation sans évoquer les dessins d’enfants. Certes, du point de vue purement artistique, ils se caractérisent par leur ingénuité et leur maladresse. C’est pourquoi on pourra s’étonner de les voir figurer ici, aux côtés de la production de quelques-uns des plus grands artistes de leur temps.
Mais nous avons voulu qu’il en soit ainsi pour leur rendre hommage. Ils témoignent à leur façon, avec candeur, des rêves et les projets de gamins auxquels la guerre et les persécutions ont volé leur jeunesse. Ce sont de somptueux bouquets de fleurs aux couleurs éclatantes, une rivière coulant aux pieds d’un village paisible, un voilier avançant sur mer agitée malgré ses voiles rapiécées, des couples d’oiseaux qui semblent se chuchoter des mots tendres, des ponts jetés au-dessus des fleuves, des cheminées qui fument, un soleil éclatant dans un ciel sans nuages, etc... L’imagination enfantine semble inépuisable lorsqu’il s’agit de suggérer une vie meilleure.
Le voilier avance toutes voiles dehors, mais il fait du sur-place puisque l’ancre est jetée.
La création artistique a été, pour certains internés, un élément essentiel de leur séjour au camp. Quelques-uns y ont même trouvé le ressort principal de leur combat quotidien pour la vie. Elle fut à la fois une occupation exigeante, un objet de témoignage, un exutoire et une quête. Elle a apporté une réponse au terrible dilemme qu’Elie Wiesel, évoquant les difficultés pour les survivants à parler de la Shoah, résumait dans la formule célèbre « parler est impossible, se taire est interdit ». En incitant les intéressés au dépassement, elle les a fortifiés. Elle leur a parfois offert une embellie dans la grisaille gursienne. Elle a fourni à quelques-uns d’entre eux une raison de continuer à lutter, une raison de continuer à avancer.
La musique tient une place fondamentale dans la vie quotidienne des internés. A tous moments, elle apparaît comme l’un des facteurs majeurs de leur survie. Elle accompagne leurs activités et rythme leurs journées.
Et puis, il y a la grande musique…
La musique au camp : une place essentielle
Son importance n’a rien de comparable avec celle que l’on observe habituellement, dans la vie normale. Elle retrouve à Gurs sa fonction originelle. Pas question, dans les baraques, de s’afficher, de préparer un concert, de conquérir un public ou de travailler à un quelconque enregistrement. Il s’agit seulement d’exprimer la vie et d’accompagner les activités de la journée. Et cela pour soi-même, en plein accord avec le groupe.
Le chant, par exemple, devient une nécessité vitale, dans le milieu clos et misérable de Gurs. Il exprime les sentiments de celui qui le pratique et rejaillit sur l’état d’esprit de celui qui l’écoute. Il apaise et sert d’exutoire. À l’extérieur du camp, on pouvait l’entendre également, mais il était rarement compris pour ce qu’il était, les promeneurs l’interprétant plutôt comme un signe d’insouciance, à mille lieues de soupçonner la nécessité impérieuse qui poussait les internés à rechercher dans la musique de groupe ce que l’enfermement leur interdisait, c’est-à-dire le plaisir de vivre ensemble.
Les chansons font partie intégrante de la vie quotidienne. Elles sont systématiquement mentionnées dans les îlots de femmes, plus rarement chez les hommes. Elles permettent de mettre des notes de musique sur la tristesse et sur l’absence, d’évoquer le temps d’avant, parfois de tourner en dérision les misères du moment. Elles sont fredonnées, reprises par l’un, achevées par l’autre. Elles animent souvent les soirées et suscitent les larmes, dans l’obscurité de la chambrée.
Plusieurs chansons ont été composées au camp, mais rares sont celles qui sont parvenues jusqu’à nous. La chanson de Gurs de Leonhard Märker est parvenue jusqu’à nous. Sur un rythme de tango, elle déclare (1941) :
In des Basses-Pyrénnées | Dans les Basses-Pyrénées |
Gibts einen Ort | Il y a un lieu |
Wo Baraken nur stehen, | Où il n’y a que des baraques, |
Doch kein Baum steht dort. | Même pas un arbre. |
Dort muss nur der hinein | Ne peut y entrer |
Der kein Recht hat auf der Welt zu sein | Que celui qui n’a aucun droit au monde |
Und wer den Ort betrat | Et celui qui y pénètre |
Den trennt von der Welt ein Stacheldraht | Est séparé du monde par les barbelés |
In den Basses-Pyrénées | Dans les basses-Pyrénées |
Da hält man Wach | On y surveille |
Über jenen der Ärmsten, | Le plus pauvre, |
Der nichts verbrach. | Celui qui n’a rien fait de mal. |
Doch wärst du heut ein Fremder, | Etranger, si tu étais l’un d’eux, |
Dann scheint auch dir’s, |
Tu le vérifierais de toi-même, |
Es gibt Verdammte nur in Camp de Gurs | Il n’y a que des damnés au camp de Gurs |
La musique classique
Elle est constamment présente à l’époque de Vichy, en 1941 et 1942.
Il est vrai que sont alors internés d’authentiques virtuoses, qui avaient connu succès et célébrité, pendant l’entre-deux-guerres, en Allemagne ou en Autriche. Parmi eux :
- Fritz Brunner, premier violon des Concerts philharmoniques de Vienne. Il réussit à créer autour de lui, pendant quelques mois, un quatuor à cordes.
- Hans Ebbekke, organiste de la cathédrale de Strasbourg, spécialiste de Bach, qui n’a pas voulu se séparer de son épouse, une cantatrice juive.
- Rolf Heinemann, trompettiste.
- Kurt Leval, pianiste.
- Heinz Lewin, contrebassiste.
- Hans Meyerowitz, pianiste et compositeur, improvisateur éblouissant.
L’administration du camp tente de les inviter à se produire à ses fêtes, ce qu’ils acceptent parfois pour un petit salaire ou un complément de nourriture. Mais en règle générale, ils jouent dans la baraque de la culture de leur îlot, pour eux-mêmes ou pour le seul public des internés.
Les concerts qu’ils donnent alors, dans des chambrées sans acoustique, au milieu du froid, de la misère et de la souffrance, avec parfois les rats qui traversent la pièce, ont été considérés par ceux qui les ont entendus comme les plus grands moments musicaux de leur vie toute entière. Une véritable communion s’opérait parfois entre l’interprète, les spectateurs et la musique, transportant tout le monde dans un même tourbillon et provoquant une sorte de révélation fusionnelle. La petite Juliette Minces, âgée de 5 ans, qui habituellement se mettait sous le piano de Leval et se retrouvait donc à l’intérieur de la musique, a gardé le souvenir d’instants sacrés, d’une telle plénitude qu’aucun mot ne peut les traduire et qu’elle n’a jamais plus retrouvés par la suite. Ces moments d’intimité absolue, où l’émotion conjugue le présent et le passé, où la beauté esthétique vient se substituer à la misère, étaient, pour les parias de Gurs, des moments de pure lumière.
Les concerts ont lieu tous les mercredis. Hanna Schramm raconte comment elle a pu obtenir de l’administration un piano, installé dans la baraque de la culture de son îlot¹. Le 27 janvier 1941, y est donné une après-midi musicale dont le programme est le suivant :
1- Quatre danses de l’année 1600 | Quatuor à cordes d’Alfred Brunner |
2- Trois mélodies de Johan Geet | Chœur |
3- Pièces de caractère français ( XVIIèm s.) | Hans Ebbecke |
4- Canzones anglaises | Quatuor Brunner et Paul Enoch-Isay |
5- Aria de Cesti et romance de Scarlatti | Quatuor Brunner et Paul Enoch-Isay |
6- Sonate pour violon et piano, de Haendel | Quatuor Brunner |
7- Chœur de Palestrina (le Salut) | Chœur |
8- Sonate en mi majeur de Corelli | Quatuor Brunner |
9- Pièces pour piano de J. S. Bach | Hans Ebbecke |
10- Extrait de Xerxes, de Haendel | Paul Enoch |
11- Quatuor en fa majeu-Isayr, de Mozart | Quatuor Brunner |
12- L’Honneur de Dieu, de Beethoven | Chœur |
Le chœur de Hans Ebbecke présente des pièces du répertoire, parmi les plus difficiles². Il rassemble une douzaine d’interprètes, au premier rang desquels on trouve :
- Paul Enoch-Isay, baryton berlinois célèbre, spécialiste de musique ancienne.
- Peters, baryton, émouvant dans ses interprétations des Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts), de Malher, et dans le Winterreise (Voyage d’hiver), de Schubert.
- Kurt Selig, chef d’orchestre et chanteur d’opéra.
L'opérette elle-même est présente avec le compositeur Karl Märker.
La musique de Gurs a créé quelques instants de pur bonheur, dans la grisaille quotidienne du camp. En transfigurant la réalité, elle a contribué à redonner du goût à la vie. Elle a détourné les internés du spectacle de leur misère, les a éloigné de leurs soucis et a ravivé leur courage. Elle les a aidé à résister.
¹ Hanna Schramm. Vivre à Gurs. Un camp de concentration français. 1940-41. François Maspéro. Coll. Actes et mémoires du peuple. Paris, 1979, p. 140.
² Plusieurs programmes sont reproduits dans et dans Joseph Weill, Contribution à l'histoire des camps d'internement , p. 104-105.
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