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Des conditions d’hygiène déplorables
À partir de l’automne 1940, les conditions d’hygiène ne cessent de se dégrader. Tout se cumule pour aboutir à une situation lamentable : l’instauration depuis plusieurs mois d'une économie de pénurie ; le froid dans les baraques, qui oblige les internés à rester chaudement vêtus le jour comme la nuit ; l'humidité, qui interdit, certaines semaines, toute sortie hors de la chambrée ; le désespoir de certains internés, surtout parmi les plus âgés, qui les paralyse et leur ôte leur capacité à résister, etc...
Confinés dans l'atmosphère exiguë et malsaine de leur baraque, les internés font alors connaissance avec la faim, la misère psychologique et la maladie qui sont habituellement les corollaires d'une hygiène insuffisante.
L’automne 1940 : une situation alarmante
L’internement des femmes, en mai 1940, n’avait que superficiellement modifié les conditions sanitaires du camp. Rien de sérieux n’avait été réalisé pour adapter les installations aux besoins particuliers d'une population féminine. Seuls deux îlots avaient été dotés, à la fin du mois de juin, de lavabos fermés et il avait fallu attendre le mois de juillet pour que la lutte contre les poux soit reprise avec une certaine efficacité, pour que les toitures et les bat-flancs des baraques soient réparés et pour que certaines infirmeries d'îlots soient restaurées. À l’automne, lorsqu’arrivent au camp plus de 10 000 nouveaux internés, ces quelques rafistolages apparaissent dérisoires, comparés à l’état déplorable de l’ensemble des installations. À vrai dire, rien n’est prêt pour recevoir les nouveaux venus dans des conditions sanitaires acceptables.
L’automne 1940 se caractérise déjà par une situation alarmante. Toutes sortes de difficultés semblent se cumuler pour rendre inopérants les soins les plus acharnés. D'abord, les intempéries, avec de fortes pluies accompagnées d’un froid de plus en plus vif ; pendant plusieurs mois, les internés n'ont d'autre possibilité que de celle de rester claquemurés dans l'espace exigu de leurs baraques ; la promiscuité à laquelle ils se trouvent astreints entraîne nécessairement une propagation rapide de la vermine et des microbes pathogènes. Ensuite, le dénuement ; la soudaineté qui avait caractérisé l'opération Bürckel n'avait guère laissé le temps aux Badois de prendre avec eux une provision de linge, d'habits et de médicaments suffisante pour qu'ils puissent y puiser pendant plusieurs mois. En outre, parmi les Gursiennes arrivées en mai comme parmi les "Cypriennais", rares étaient ceux qui disposaient de vêtements chauds, de chaussures de pluie, d'habits imperméables ou de médicaments ; pour certains, la pénurie est totale. Enfin, la fatigue et la maladie. Déjà, les privations endurées depuis de longs mois avaient altéré les constitutions les plus robustes ; l'exil, les transferts incessants d'un camp à un autre avaient attaqué leurs capacités de résistance nerveuse ; parfois même, des convalescents, venus des camps de Tence (Haute-Loire) ou de Septfonds (Tarn-et-Garonne), à peine remis de leurs fièvres ou des ulcères qu'ils avaient contractés auparavant, étaient venus grossir les effectifs du camp béarnais. Cette seule situation était déjà génératrice d'épidémies. Dès lors qu'apparaissent les premiers froids de l'hiver, chacun sent bien que les semaines à venir seront terribles.
Elles le sont effectivement. Dans les derniers jours d'octobre 1940, quinze personnes, des Badois, meurent au camp. En novembre et décembre, le rythme des décès s'accélère. L’hiver se révèle terrible.
L’hiver 1940-41 : le naufrage
Pendant les trois mois de l’hiver meurent 619 internés, soit une moyenne de 52 personnes par semaine.
Les médecins internés, devant l'impéritie et l'incompétence de l'administration française, complètement débordée, tentent vainement de réagir. Chaque matin, ils délèguent l'un d'eux (ils sont une douzaine) dans les baraques pour détecter d'éventuels symptômes. Ils tentent d’isoler les contagieux, s’efforcent de créer des baraques-infirmerie dans chaque îlot, s'épuisent à obtenir de l’eau de Javel ou des serpillères, incitent chacun à préserver son corps de la crasse et de la vermine, mais rien n’y fait. Les poux, les puces, les punaises et les rats envahissent les îlots les uns après les autres, y compris les baraques d’encadrement situées dans le premier quartier. La maladie, à commencer par la dysenterie, gagne toutes les baraques ou presque et menace d'envahir le camp tout entier.
« Paralysés par l'absence totale d'hygiène, nous avons dû, nous, les médecins, nous contenter de constater en grinçant des dents comment la maladie se propageait de proche en proche. L'absence de tout local qui aurait permis la mise en quarantaine, l'incroyable saleté de toutes les parties du camp, baraques et latrines, le manque de désinfectants, de médicaments et, bien sûr, d'une nourriture adaptée au traitement des maladies, anéantirent tous les efforts du personnel soignant. » ¹
Dans leur correspondance, les internés dénoncent unanimement une situation qu'ils jugent à peine supportable. Un rapport de synthèse de la commission de contrôle du courrier, dans lequel une vingtaine d’exemples sont cités, dénonçant tous la crasse et la misère du camp, en donne une idée (4 décembre 1940) :
« La majorité des hébergés se plaint de ne pouvoir maintenir une hygiène acceptable dans les baraques, (...) signale la présence de rats, de puces et de poux. Les lavabos et les toilettes sont presque inaccessibles aux plus âgés par temps de pluie. (...) De nombreuses chutes sont signalées, dont une avec rupture de la colonne vertébrale. »
Les preuves proviennent également d'administrations vichyssoises comme, par exemple, l'inspection départementale de la Santé. Le 21 janvier 1941, l’inspecteur départemental de la Santé, accompagné d'une commission de trois médecins, visite le camp et envoie au préfet un rapport dans lequel il déclare :
« II est à souhaiter que l'hygiène du camp soit meilleure, afin d'éviter la propagation des épidémies. Il est à noter que les grabats se touchent dans les baraques et que les internés sont porteurs de parasites de tous ordres. Des locaux d'isolement devraient être prévus. (...) Dans ce même but prophylactique, l'épouillage au moins de l'îlot A devrait être tenté. (...) Dès maintenant, une réserve convenable de médicaments devrait être préparée. »
Le 15 avril 1941, le docteur Schneider, délégué départemental de la Croix-Rouge polonaise, rédige le compte-rendu de la visite qu'il vient de faire dans les îlots. Se penchant sur le cas d'un de ses compatriotes, il écrit :
« Le Polonais Wojczynsci était un homme plein de santé et de forces il y a quelques mois. Il est maintenant complètement usé par les souffrances et la famine. Il était étendu sans connaissance dans sa baraque sur un grabat malpropre (...). Depuis plusieurs semaines, c'est dans le fumier qu'il demeurait. L'expression n'est pas exagérée puisqu'il demeurait chaque jour, pendant plusieurs heures et même parfois pendant la journée toute entière dans ses vomissements et ses déjections. (...) La nouvelle de sa mort nous est parvenue peu après. »
Les médecins internés eux-mêmes ne parviennent pas à se protéger. Heinz Pollak, médecin interné polonais, écrit en décembre 1940 à son frère Max, réfugié aux Etats-Unis :
« Il serait bien temps pour nous, Fritz et moi, de quitter la belle vie du camp. Nous sommes pouilleux, amaigris, nous avons des furoncles et d’autres maladies liées aux carences, bref, tu n’en reviendrais pas. (…) J’ai maigri d’environ 8 kg (52 kg pour le moment), Fritz, quant à lui d’à peu près 15 kg.» ²
Pendant ce terrible hiver, la saleté et la vermine règnent en maîtres dans le camp. Quels que soient les efforts manifestés, quelle que soit l’énergie dispensée, la lutte est trop inégale. Plusieurs baraques (d’hommes le plus souvent) sont véritablement infestées du matin au soir. La nuit, les punaises s’immiscent, dans les valises, sous les couvertures, sur toutes les parties du corps. Eugen Neter les décrit comme « le pire des fléaux. Elles sortent victorieuses de tous les combats qu'on leur livre. » ³ La crasse y exerce une profonde torture physique et morale. Elle explique pour l'essentiel la déchéance dans laquelle sombrent plusieurs centaines de Gursiens.
Il est vrai que pour la majorité d'entre eux, qui n'avaient jamais vu auparavant la moindre tinette et n'en soupçonnaient peut-être même pas l'existence, qui jouissaient depuis de longues années d'un confort et d'une hygiène assurés, qui s'y étaient habitués au point que le bien-être matériel leur semblait aller de soi, les changements intervenus dans leur vie semblent insupportables.
Par la suite, de 1941 à 1943, la situation s’améliore un peu, mais si peu…
Avec le retour des beaux jours, au printemps 1941, quelques améliorations sont enregistrées, d'autant que l'effectif interné connaît alors une diminution sensible. Pourtant, malgré toute la bonne volonté déployée, malgré les chasses aux poux et aux rats, malgré les désinfections réitérées, les conditions sanitaires demeurent mauvaises. La vermine reste présente, cachée partout, dans les paillasses et les habits, à l'intérieur des valises, aux jointures des planches, entre le carton bitumé et la volige, sous le plancher, etc... Jamais, après l'hiver 1940-1941, la situation ne redeviendra correcte, comme au tout début de l’histoire du camp.
Un texte assez exceptionnel en atteste a contrario. Il s’agit des Commandements de l'hygiène du camp, rédigé le 7 juillet 1941 par le médecin-chef français de l’hôpital central (terme pompeux qui désigne les installations médicales du camp). Ce texte révèle de façon quasi-officielle l'extrême misère dont les internés doivent s'accommoder. Voici quelques commandements :
« II. La consultation est là pour t'aider quand tu es malade. La consultation n'est cependant pas une annexe d'un dépôt de vivres permettant d'obtenir un supplément de nourriture.
III. Ne bois pas l'eau crue, elle peut occasionner des diarrhées.
VII. Ne te gêne pas et ne le cache pas quand tu as des poux. Les conditions de vie au camp ne peuvent que les provoquer.
VIII. On ne doit pas jeter les détritus dans les coins ou par les fenêtres. On s'étonne après qu'il y ait affluence de rats. Une fois tous les quinze jours, la baraque doit être vidée et lavée à l'eau de Javel ; de cette façon, on évite les punaises et les rats et on ne patauge pas dans sa propre saleté. »
Il faut véritablement attendre novembre 1941 pour que l’intendance du camp prenne le problème à bras le corps. Il est vrai que la population du camp a alors fortement baissé. Des désinfectants sont alors distribués dans toutes les baraques, des flacons de Marie-Rose pour lutter contre les poux, des balais et des serpillères, du savon et de la lessive. Mieux, certaines baraques sont spécialement mises à la disposition des diverses catégories de malades. Les services médicaux peuvent prêter une attention particulière à l'hygiène des enfants et les délégués des œuvres philanthropiques peuvent procéder à d'incessantes distributions d'eau de Javel et de désinfectants.
La situation générale s’améliore certes, mais ni la vermine, ni les rats, ni les maladies ne disparaissent. Et même, une profonde dégradation est encore signalée l’hiver suivant, en janvier 1942. Que d'efforts vainement dispensés dans un combat inégal !
Une constatation s'impose donc : après l'hiver 1940-1941, l'hygiène du camp ne peut, à aucun moment, être considérée comme satisfaisante. À la belle saison, les conditions atmosphériques permettent d’enregistrer quelques améliorations. Mais, même au cours de ces périodes fastes, on ne saurait la qualifier de correcte. Le reste du temps, elle est déplorable. Il n'est pas exagéré d'affirmer que tous les hommes et toutes les femmes enfermées à l'époque de Vichy ont été, à un moment ou à un autre de leur internement, des pouilleux et qu’ils ont été touchés par la maladie.
La plupart des chefs de camp, des directeurs de centre d'accueil ou d'émigration du midi de la France le savent bien. Ils redoutent qu’on leur envoie des internés de Gurs car ils les soupçonnent systématiquement, à juste titre d’ailleurs, d'être porteurs de poux et de vermine. Aux Milles, le directeur commence, dès leur arrivée, par les diriger vers la baraque de désinfection.
¹ Max Ludwig. Das Tagebuch des Hans O. Dukumente und Berichte über die Deportation und den Untergangdes Heidelberger Juden. Lambert Schneider. Heidelberg, 1965, p. 16.
² Suzanne Leo-Pollak. Nous étions indésirables en France. Une enquête familiale. Traces et empeintes. Coll. Rappel. Paris, 2009, p. 98
³ Eugen Neter. “Erinnerungen an das Lager Gurs, in Frankreich”, dans le Journal de liaison du consistoire des Israélites du Pays de Bade, Karlsruhe, 1962, p. 15
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