Comment améliorer les conditions de l'internement ?
A l'origine, les baraques sont totalement vides. A l'intérieur, ni meuble, ni paillasse, ni châlit, ni étagère, ni électricité, ni vitre aux fenêtres, ni poêle, etc... Seuls les chevrons verticaux rythment l'espace et délimitent les soixante places disponibles.
On fabrique des "meubles" et ustensiles de cuisine
L'ingéniosité des internés n'a pas de limites. Même si l'on manque de tout, on parvient toujours à fabriquer mille objets.
Avec les caisses récupérées aux "subsistances", avec les planches prélevées ça et là dans les îlots, sur les cloisons des tinettes, sur les baraques désaffectées ou ailleurs, on confectionne des étagères, ou même des garde-manger, que l'on encastre aux angles de la pièce. Avec les pointes enlevées aux barbelés de la clôture, on peut fabriquer des clous, des lames de couteau ou des rasoirs.
Avec les piquets déracinés la nuit à la clôture de barbelés, on réalise de rudimentaires châlits. Avec le fil de fer, on tend des sommiers métalliques. Dans les bûches que les membres de la compagnie de travail vont chercher dans la forêt, on façonne des sabots grossiers qui permettront de circuler dans la boue les jours de pluie, parfois des bancs des tabourets, des chaises et des coffres.
Les boîtes de conserve sont une aubaine. On les découpe soigneusement, on les martèle pendant des heures entre deux galets et on les transforme en assiettes, en plats, en gobelets, en cuillères ou fourchettes, etc... Parfois, lorsque l'on a accès à l'atelier de mécanique de l'îlot A et que l'on peut réaliser des soudures, on parvient à faire des seaux, des brocs, des grils, des aceiteras (vase à huile), etc...
On confectionne des habits
La plupart du temps, les internés ne possèdent pas d'autres vêtements que ceux qu'ils ont pu amener avec eux pendant l'exode de février. Les chaussures sont éculées, certains habits ne sont plus que loques : lorsqu'ils ne sont pas élimés par un trop long usage, le vent les a déchirés sur les barbelés où on les avait laissé sécher. Les chemises sont bariolées de rapiéçages, les sous vêtements s'effilochent, les uniformes militaires eux-mêmes sont en lambeaux.
Parfois, certaines associations d'entraide parviennent à fournir de nouveaux habits, mais la pénurie sévit en permanence. Alors, on se rabat sur les couvertures. Lorsque, début juin, des couvertures militaires sont fournies à chaque interné, c'est l'occasion pour les tailleurs, les retoucheurs, les costumiers et autres couturiers de confectionner tout ce qui peut manquer : d'abord du linge de corps, plus difficile à repérer, mais aussi des chemises, des pantalons, des manteaux, des chaussettes et des bonnets.
Bref, des solutions sont trouvées, témoignant d'un grand esprit inventif.
On lutte contre la vermine
L'effort manifesté dans ce domaine par les internés est considérable. Chefs d'îlots et chefs de baraque se montrent intraitables. Mais les résultats ne sont jamais satisfaisants, d'abord, parce que l'eau manque pendant les trois quarts de la journée, ensuite, parce que la densité de population rend vains tous les efforts déployés.
Dès l'origine, la question des parasites s'est posée de façon aiguë. Elle ne sera jamais vraiment résolue, pendant toute l'histoire du camp. Le 9 avril, quelques heures après l'ouverture des premiers îlots, le camp est déjà menacé d'invasion par les poux. Plusieurs campagnes de désinfection sont menées contre eux. On tond les pouilleux, on les isole, mais rien n'y fait.
Les puces, dont les véritables colonies avaient rendu célèbre le camp de Saint-Cyprien, s'installent dans les rainures du plancher des baraques. Ces parasites, qui régnaient en maître sur les plages du Roussillon, où rien n'était prévu pour les combattre, sont immédiatement transférées dans le camp béarnais, au fur et à mesure des arrivées.
Les punaises et cafards se multiplient avec la sècheresse de l'été. La nuit, ils montent sur les couvertures, s'insinuent dans les valises et envahissent les planchers. Les internés affirment qu'ils étaient pires que les puces et le poux, par les dégats qu'ils occasionnaient partout.
Contre cette vermine, la lutte menée conjointement par l'administration et les internés est quotidienne. Ils arrivent presque à s'en débarrasser, vers le milieu de l'été, à grand renforts d'antiseptiques et d'eau de Javel, mais le mal reste endémique et ne demande qu'à renaître.
Entre-temps, un nouveau fléau est apparu, les rats. Plaie durable celle-ci, puisqu'elle ne cessera qu'après la fermeture du camp, six ans plus tard. Les rats, du genre surmulot, grands et ventrus, au poil noir et luisant, se nourrissent de tout, à commencer par les détritus entreposés un peu partout dans le camp. Ils prospèrent autour des cuisines d'îlots et "aux subsistances" du premier quartier, où ils se nourrissent des fanes de légumes et des épluchures. Ils se cachent dans les hautes herbes poussées autour des fossés de drainage, dans les friches, auprès des tranchées d'épandage, mais surtout, sous le plancher des baraques même. La nuit, ils circulent partout et mangent des provisions jusqu'à l'intérieur même des valises. Périodiquement, de grandes chasses sont organisées par les chefs d'îlots, mais rien n'y fait. Les fossés sont curés, les herbes fauchées, les moindres recoins soigneusement inspectés, mais la calamité demeure.
Les rats rendirent le camp de Gurs fameux. Il y eut une véritable invasion. Ils détériorèrent les habits et autres objets des réfugiés. Dans les baraques, certains d'entre nous mangeaient en une seule fois leur ration quotidienne de pain, pour ne pas la perdre pendant leur sommeil, y compris en le cachant sous leur bras. Une nuit, les rats attaquèrent deux réfugiés qui se trouvaient dans le quadrilatère [îlot de représailles]. Quand les soldats en faction accoururent à l'appel des deux punis, ils trouvèrent les deux hommes exténués, les mollets horiblement mordus.
(témoignage de Julio Vicua)
On tente de soigner son hygiène du corps
La propreté des internés dépend en priorité des possibilités de ravitaillement en eau.
Mais la population est tellement dense à l'intérieur des îlots que l'eau fournie par les lavabos, à heures fixes (de 6 à 9 h, le matin et de 17 à 20 h le soir), est loin de correspondre aux besoins. On recueille l'eau dans des seaux et des brocs, mais il en manque toujours.
Dès le mois de mai, les "Internationaux" ont l'idée de creuser des puits sous le plancher de leur baraque. Ils dégagent un des panneaux et, par l'ouverture, déblaient la terre argileuse sur une profondeur de deux à trois mètres, jusqu'à ce que la nappe phréatique soit atteinte. Ils trouvent de l'eau. Le liquide recueilli est loin de présenter des garanties suffisantes à la consommation, sa couleur n'incite guère à y goûter, mais il peut être utilisé pour les gros travaux de nettoyage. Une telle pratique, dont l'administration semble avoir toujours ignoré l'existence, est spécifique à l'été 1939. À aucun moment, par la suite, on n'en retrouvera la mention.
Les questions d'hygiène du corps en ont-elles, pour autant, été résolues ? Non, bien sûr, mais ce n'est pas par manque de volonté, ni d'obstination.
Ainsi renaît peu à peu, sur la lande de Gurs, une société que la retirada de février avait totalement bouleversée. Patiemment, minutieusement, les internés se sont efforcés de se doter d'un cadre sinon acceptable, du moins viable, et de retrouver un peu de leur dignité d'antan.
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