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Le groupe des volontaires allemands
Ce groupe, qui rassemble dans l'îlot I les "Internationaux" allemands et autrichiens, est bien connu depuis que deux articles, reposant sur le dépouillement des documents conservés aux Archives de Bonn et de Berlin, lui ont été consacrés.¹
Un groupe divisé
L’ensemble des volontaires réunit 1200 personnes environ en mai 1939 et près d'un millier en octobre. Il est subdivisé en compagnies, échelons intermédiaires entre l'îlot et la baraque. Cette structure, directement héritée du système hiérarchique mis en place au sein des Brigades pendant la guerre civile, est spécifique aux groupes internationaux. À Gurs, cohabitent huit compagnies, au sein du même îlot.
D’une part, sept compagnies qui forment deux "sous-camps", l'un allemand (quatre compagnies), l'autre autrichien (trois compagnies), chacun d’eux dirigés par leurs propres administrations, indépendantes de celle de l'îlot. Ils rassemblent un millier d’hommes environ, tous communistes orthodoxes, qui suivent les directives du Komintern.
D’autre part, une huitième compagnie, dénommée "la 9ème compagnie des antifascistes indépendants", composée de 170 hommes environ, essentiellement allemands. Elle réunit les "internationaux" qui refusent de reconnaître la direction de leur "sous-camp" allemand. L’opposition entre les deux groupes est de nature politique : la 9ème compagnie récuse l'administration communiste des "sous-camps" et de l’îlot, critique le mode d'élection des responsables et affiche une indépendance d'esprit inacceptable aux yeux des autres. Entre les deux, les querelles sont violentes et permanentes, les communistes accusant les indépendants d’être des agents à la solde de la Gestapo et les indépendants accusant les communistes d’être vendus à Moscou. Au moment du pacte germano-soviétique du 28 août, l’opposition tourne à la bataille rangée.
Le groupe des communistes orthodoxes
D’après le long rapport intitulé Rapport d’activités des communistes allemands au camp de Gurs rédigé à Gurs en août 1939, le groupe serait partagé en tendances politiques différentes qui s'affronteraient régulièrement, sans pour autant aller jusqu’à la dissidence. La principale tendance rassemblerait les communistes du KPD, largement majoritaire, groupés autour d'Hugo Wittmann, chef du "sous-camp" allemand, et Ivo Veivoda, futur ambassadeur de la RDA à Paris. Les autres réuniraient surtout des socio-démocrates du SPD autour d'Ernst Braun, partisan du front uni de toutes les forces démocratiques pour lutter contre le nazisme. Entre eux, les débats idéologiques seraient passionnés, ce qui, là encore, distingue les "Internationaux" des autres réfugiés.
Jean-Philippe Mathieu, décrit ainsi la composition sociologique du groupe :
D'une part, la forte proportion de prolétaires ; d'autre part, la haute qualification moyenne du groupe ouvrier (les ouvriers qualifiés constituent une large majorité). (…). Il y a, dans le groupe, 251 hommes mariés, dont 60 % d'entre eux ont des enfants, et 369 célibataires. Sur ces 610 hommes, 160 ont déjà passé des mois ou des années dans les camps de concentration nazis. (…) Le nombre d'hommes entre 25 et 40 ans est considérable : 436 sur 610. (…). Plus de la moitié d'entre eux sont membres du parti communiste, 101 du parti social-démocrate, 4 du S.A.P. et 14 sont anarchistes."
Il détaille également son organisation politique :
L'organisation du parti communiste est fondée sur la baraque : une cellule par baraque. Les directions de cellule élisent une direction de compagnie ; les quatre directions de compagnie dépendent du comité de parti pour l'ensemble du camp, élu de la même façon. Il y a en tout quinze cellules. (…). La principale organisation de masse du parti au camp est la "communauté de travail" (…) qui a créé une sorte d'université populaire où l'on rassemble tous ceux qui ont les capacités et avec l'aide desquels on fait une ou deux conférences par semaine dans chaque baraque. (…) Le quotidien du camp est édité par la direction élue du groupe. Il comprend, sur trois ou quatre pages-machine, une partie générale, avec un éditorial sur les principaux événements politiques, et une partie sur la vie du camp.
Il évoque même la tenue à l’îlot I du "Premier congrès des correspondants des journaux muraux du camp de Gurs", le 14 mai 1939, à l’issue duquel les intervenants auraient voté dix résolutions.
Même en tenant compte des indispensables précautions qu’il convient de prendre devant ce type de rapports, il est clair que l’organisation du groupe est d’une rigueur absolue.
Le groupe des 170 indépendants
La 9ème compagnie indépendante, dirigée par Waltzer Fischer (présenté par les communistes comme un agent de la Gestapo à Lübeck) est beaucoup plus hétéroclite. Sa composition sociologique n’est pas connue mais les opinions politiques y seraient les suivantes :
"CNT et FAI : environ 15 %. SPD et SPO : environ 15 %. Kommunistische Arbeiterunion : environ 6 %. SAP : environ 2 %. 10 % à peu près n'étaient pas organisés politiquement et 52 % environ appartenaient au parti communiste et à des organisations communistes non précisées."
Il s'agirait surtout de communistes marginaux qui se déclareraient explicitement partisans de la tendance Münzenberg, leader du KPD qui s'était séparé du parti en 1938, et de petits groupes anarchistes et trotskistes.
Lettres de Rudolf Stender (alias Sigmund Nielsen) à son frère Werner
Les trois lettres ci-dessous permettent de comprendre les activités du groupe allemand. Elles proviennent d’un homme, Rudolf Stender, qui fut un ancien député communiste au Reichstag, en 1933, et qui deviendra un des responsables de la MOI-FTP dans la Résistance française. Elles constituent une mine d’informations mais doivent être décryptées en fonction des remarques faites ci-dessus.
Gurs, le 13 mai 1939
Hier nous avons vécu un grand et heureux jour. L’organisation française antifasciste a fait parvenir à chacun des membres des Brigades Internationales un paquet personnel. C’est un grand exploit si l’on considère que nous sommes encore plusieurs centaines dans notre camp. Les paquets étaient principalement composés de chemises, sous-vêtements, chaussettes, serviettes et divers articles de toilette etc, et une boite de lait. De plus, le groupe allemand a reçu 5.400 francs. Chaque chose est bienvenue ; cela permet également de combattre les poux et de conserver la propreté générale.
Nous avons décidé d’utiliser l’argent pour acheter des remèdes pour les malades, et pour les camarades qui ne reçoivent aucune aide d’amis à l’étranger. Ceux qui se sont volontairement isolés de nous et qui sont sous l’influence d’agents de la Gestapo n’ont pas reçu de paquets.
Aujourd’hui je vais raconter un peu comment nous passons le temps dans l’îlot. Nous organisons toutes sortes d’activités sportives, des parties d’échecs, nous possédons dix classes différentes de langue, des exposés sur les mathématiques, la géographie, et différents sujets. Nous avons une chorale et un groupe musical; les instruments nous les avons ramenés d’Espagne.
Nous avons aussi un Groupe de jeunesse. Ainsi tu peux voir que nous avons de bonnes raisons de garder la tête haute. De même les autorités françaises ont maintenant réalisé que nous ne sommes pas des criminels. Nous avons de nombreux médecins, professeurs et des camarades intellectuels et bien élevés pour faire en sorte que les choses se passent bien. Nous avons également eu la permission d’aller dans autres îlots les lundis et vendredis. Chaque îlot est entouré de barbelés avec un garde français armé à chaque entrée, la totalité des îlots étant entourée par un solide barbelé supplémentaire, et tous les 59 mètres un garde armé. Bien sûr nous ne sommes pas autorisés à quitter le camp.
C’est tout pour aujourd’hui.
Meilleures amitiés de ton frère
Sigmund (Rudolf)
Gurs, le 30 mai 1939
Cher Werner,
Je n’ai pas pu t’écrire hier aussi je le fais aujourd’hui. Nous avons invité les autorités françaises à participer à un spectacle car c’est Pentecôte. Tout l’état-major du camp est venu. À 8h30 la journée a commencé avec le défilé des athlètes, puis trois cents camarades ont participé, parmi eux des Espagnols, des Italiens, des Catalans, des Cubains, des Autrichiens et des Allemands. Ils se sont échauffés ensemble puis à 9h ils ont sorti des bâtons témoins et dix groupes de quatre camarades ont pris part à un relais. Chacun a couru 70 mètres. Nous n’avons pas de piste plus longue dans le camp. J’ai participé à l’un de ces relais et nous sommes arrivés troisièmes. Les dix équipes étaient composées de cinq équipes Allemandes, quatre Autrichiennes, et une de Cuba.
Puis nous avons eu des matchs de boxe. Les Espagnols, Italiens, Catalans, Allemands, Autrichiens et Cubains y ont pris part. Les Italiens étaient des boxeurs exceptionnels. Après cela nous avons joué au volley-ball. Nous avons disputé quatre parties et dans les équipes il y avait trois Autrichiennes, trois Allemandes, une mixte et enfin une équipe de Cuba. L’équipe mixte composée d’un Autrichien, de deux Allemands et d’un Cubain a gagné.
L’après-midi il y eut d’autres jeux dont les quilles et à la fin de la journée les chanteurs sont venus interpréter de ravissantes chansons allemandes, espagnoles, italiennes, autrichiennes et catalanes. Quelques uns avaient des guitares. L’un des participants italien était un chanteur connu. On peut dire que se fut un grand succès toute la journée.
Werner, hier vingt camarades ont été renvoyés en Allemagne, apparemment tous ont demandé à être rapatriés. Trois ont refusé car ils ne l’avaient jamais demandé. Apparemment un agent de la Gestapo dans le camp a essayé de persuader les gens de rentrer, ce qui constituerait un avantage pour eux. Malheureusement les agents restent au camp et essaient d’en persuader d’autres. Les agents ont fait savoir dans le camp que je serai arrêté prochainement et rapatrié. Je m’attends à tout, mais la lutte contre les agents de la Gestapo continue.
Werner, hier j’ai reçu 40 francs. Merci beaucoup. S’il te plait fais tout ce que tu peux pour me sortir de ce camp.
Amitiés à tous.
Rudolf
Gurs, le 4 juin 1939
Cher Werner,
Tu attends encore des nouvelles, mais rien n’a changé dans ma vie depuis ma dernière lettre. Dans les deux derniers jours, les "intrus" dans le camp ont essayé une nouvelle tactique. Ils ont accusé quelqu’un de notre côté d’avoir tué une personne morte pendant que nous étions en Espagne. Les "intrus" ont dénoncé cela aux autorités. Notre camarade a été arrêté et après un long interrogatoire, ils l’ont relâché, car il n’y avait rien de vrai dans les accusations. Et maintenant quoi d’autre ! Ils mettent tout en œuvre pour nous atteindre. Ils font en sorte qu’il en demeure quelque chose.
Hier cinquante Slaves et Polonais se sont coupés des autres. Ce sont les mauvais éléments parmi nous. Peu d’entre nous les connaissaient en Espagne. Un Polonais était officier et a été arrêté en Espagne, soupçonné d’espionnage contre la Brigade Internationale.
Le côté culturel du camp s’améliore. Hier il y a eu un concert. Les prisonniers Italiens ont chanté et il y a eu un violoniste solo espagnol ainsi que d’autres divertissements. Nous pouvons dire que ce fut une soirée réussie.
Malheureusement la baraque qui était dédiée aux activités culturelles a été supprimée car elle devait recevoir des prisonniers pour cause momentanée de surpeuplement. Nous ne pouvons pas faire beaucoup d’activités extérieures à cause de la pluie.
Hier nous avons reçu 3.000 francs de Paris. Chaque baraque du camp a reçu 77 francs, il y avait 500 francs pour la nourriture de la cuisine du camp et 500 francs pour de la nourriture supplémentaire pour les malades et les nécessiteux. Un camarade de notre baraque a donné 100 francs supplémentaires, ainsi nous avions 177 francs qui ont été utilisés pour une soirée récréative. Ceci a compensé pour ne rien avoir pu faire pour Pentecôte.
C’est tout pour aujourd’hui. Meilleures amitiés à tous les amis. De ton frère Sigmund. Et merci à tous les amis qui ont récolté de l’argent pour nous.
¹ Voir les articles de Barbara Vormeier Les internés allemands et autrichiens en 1939-1940 et Jean Philippe Mathieu Les communistes allemands et leur organisation (avril-août 1939) publiés dans Les Barbelés de l’exil, sous le direction de Gilbert Badia, PUG, Grenoble 1979, pages 224-257, ainsi que l’analyse de Denis Peschanski, La France des camps, Gallimard, Paris, 2002, pages 60-61
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