"Les politiques" (été 1940)
Les 1329 Français, tous de sexe masculin, internés dans les îlots B et D constituent les politiques. L’administration du camp les désigne sous ce terme, comme sous celui d’IF, indifféremment.
Leur séjour à Gurs est limité dans le temps : les premiers arrivent le 21 juin 1940 et les derniers à partir sortent le 31 décembre 1940.
Le Centre de séjour surveillé des îlots B et D
Le 21 juin, le premier convoi de politiques est conduit à l’îlot B, à l’entrée du camp. D’autres arrivent au cours de la semaine suivante. Au total, 1 329 hommes.
L’îlot B se compose d’une vingtaine de baraques, dont certaines menacent ruine de toutes parts. Sa capacité d’accueil est de 1 200 personnes environ. Il sera dénommé par l’administration du camp, à partir du 7 juillet 1940, Centre de séjour surveillé de Gurs, afin de bien distinguer les IF des autres internés. Il constitue un cas particulier à l’intérieur du camp de Gurs, car il ne relève pas directement de l’autorité du commandant du camp. En effet, il dispose de son propre personnel d'encadrement et de surveillance, celui-là même qui a accompagnés les détenus au cours de leur exode, de Paris à Gurs. Gardiens et détenus de l’îlot B sont donc sous le commandement direct d’un officier, le capitaine de Kersaudy, commandant la prison militaire de Paris, désormais repliée à Gurs. Pour les IF, le camp n’est donc qu’un succédané de la prison de la Santé en Béarn, un simple lieu de passage, en attendant le transfert dans une vraie prison de la zone non occupée.
L’îlot D fait également partie du Centre de séjour surveillé de Gurs. Il ne se compose que de deux baraques.
Il est destiné aux "cas spéciaux", c’est-à-dire aux IF qui ne proviennent pas des prisons parisiennes, mais de diverses prisons du sud-ouest. Il est ceinturé d’une triple rangée de barbelés et les conditions d'exiguïté y sont pires que dans la section voisine, au point d’émouvoir certains fonctionnaires français. C'est ainsi que, le 11 décembre, le sous-chef de camp note à son sujet : "Les baraques 19 et 20 sont entourées d'un réseau de barbelés distant de deux mètres environ des baraques. Dans cet espace, les pensionnaires du Centre de Séjour Surveillé n'ont vraiment pas assez de liberté de mouvement."
Le dessin de Raoul Nolibos (qui signe R. Noly) est très révélateur à ce sujet.
Du point de vue de l’administration du camp, les 1 329 "indésirables" français se répartissent en deux ensembles distincts : d'une part, les 1 121 détenus de l'îlot B, que les services des effectifs désignent du terme de "préventionnaires", et d'autre part, les 208 "cas spéciaux" de l'îlot D. Sur le plan juridique portant, les uns et les autres relèvent du même statut : tous sont en détention préventive et attendent de passer devant un tribunal. La seule différence est la région d’origine, les premiers venant de Paris et les seconds de la Gironde, des Basses-Pyrénées, des Landes , du Gers et des Hautes-Pyrénées.
Les internés de l’îlot B
Parmi les politiques de l'îlot B, on trouve de nombreuses personnalités :
- Fernand Bélino, cadre du Parti communiste.
- Raymond Baudin, futur maire communiste de l'Hay-les-Roses.
- Léon Bérody, syndicaliste à la CGT, futur président de l'Amicale du camp de Gurs.
- Auguste Briand, ajusteur, militant communiste, futur animateur de la Résistance à Saint-Leu-la-Forêt.
- Robert Courtois, militant communiste, futur capitaine FFI dans la Résistance.
- Léon Faix, futur député communiste.
- Alexis Furic, cadre du Parti communiste.
- Jacques Georges, militant communiste, résistant, frère du colonel Fabien.
- Pierre Goron, secrétaire de l’Union locale de Paris 15ème.
- Maurice Jaquier, militant anarchiste, auteur de Simple militant.
- Charles Joineau, cadre du Parti communiste, futur secrétaire général de la FNDIRP.
- René Kunz, graveur, sculpteur et céramiste.
- Louis Lecoin, pacifiste.
- Henri Martin, syndicaliste à la CGT, auteur de Gurs, bagne en France.
- Léon Moussinac, écrivain communiste, spécialiste de littérature et de cinéma.
- Emile Pasquier, futur secrétaire général de la Fédération CGT des électriciens et gaziers.
- Gaston Péan, typographe à Bayonne, syndicaliste à la CGT.
- Yves Péron, futur lieutenant-colonel FFI dans la Résistance, futur député communiste.
- Daniel Renoult, un des fondateurs du parti communiste, député communiste, ancien maire de Montreuil.
- Jean Ricoux, communiste, futur résistant, déporté à Buchenwald.
- Alban Trézéguet, artisan à Gabaret (Landes), militant communiste.
- Charles Vélud, cadre du Parti communiste, futur résistant, déporté à Saxenhausen.
La composition des chambrées est hétéroclite.
Si l'on considère le motif pour lequel les prévenus sont internés, les différences sont considérables. Schématiquement, deux groupes se dégagent. D'abord, les "politiques", assimilés de près ou de loin à de dangereux militants communistes "rouges" ; ils rassemblent environ les trois-quarts de la population de l'îlot, mais leur nombre précis n'est pas connu avec certitude, faute de documentation. Il leur est reproché d'avoir tenu des "propos défaitistes" (justification du pacte germano-soviétique, célébration de l'internationalisme de classe), d'avoir "abandonné leur travail" (refus de travail dans certaines usines de guerre, grèves) ou d'avoir tenté de "reconstituer une organisation dissoute". Ensuite, les "droit commun", environ deux cents, arrêtés pour coups et blessures, proxénétisme, et autres délits civils ; tout les oppose aux "politiques", avec lesquels de fréquentes bagarres éclatent, d'autant que les "tatoués" ne cachent pas leurs sympathies pour les régimes politiques autoritaires ("Ils nous détestent, nous, les "politiques". Car ils sont pour la plupart en combine avec les gardiens. Pour eux, c'est nous les irréguliers" dit Moussinac).
Les relations entre les deux groupes sont conflictuelles et souvent violentes. Mais le groupe des politiques, très soudé, n’a jamais laissé aux droits communs le contrôle de l’îlot.
Les internés de l’îlot D
Il s’agit des "Bordelais", transférés du Fort du Hâ le 30 juin 1940, puis de plusieurs dizaines d’autres prévenus, venus tout au long de l’été et de l’automne, des prisons de Tarbes, Agen, Mont-de-Marsan, Bayonne et Pau. Au total, 208 internés.
Curieusement on trouve parmi eux une dizaine de militants d’extrême droite parisiens, originaires de la prison de la Santé, qui auraient dû, en toute logique, être enfermés à l’îlot B, avec les autres Parisiens. Mais, pour éviter de graves désordres, puisque tout les oppose aux "rouges", le commandant du camp avait préféré les interner loin des autres politiques, à une époque où ils étaient presque seuls à l’îlot D. Parmi eux, Charles Lesca, directeur de Je suis partout, Alain Laubreaux, son collaborateur, Clément Serpeille de Gobineau, journaliste à L'Illustration, Robert Fabre-Luce, Anselmi, etc... Tous, dans les années suivantes, serviront avec énergie le régime de Vichy. Leur présence, assez inattendue, s'explique surtout par la date de leur arrestation, le 2 juin 1940, c'est-à-dire à une époque où la propagande en faveur des systèmes totalitaires était encore assimilée à un délit, d'autant plus que la France était justement en guerre avec le plus violent de ces régimes. Dès les premiers jours de juillet, ils seront libérés et pourront reprendre, sans encourir le moindre danger, leurs occupations antérieures.
En dehors de ce groupe, les 208 "cas spéciaux" de l'îlot D arrivent au camp par petits groupes, de juin à décembre 1940. Tous sont arrêtés en vertu des décrets anticommunistes. Il leur est reproché "le recel ou la distribution de tracts subversifs", ou "l'incitation des jeunes à la désobéissance", ou d'avoir tenu des "propos défaitistes", ou d'avoir "attenté à la sûreté de l'Etat". Il s'agit en fait de militants de la SFIC, de la CGTU, d'Amis de l'Union Soviétique, parfois d'anarchistes. Ils font fréquemment l’objet de violents articles de presse, comme celui du Républicain des Hautes-Pyrénées, publié le 16 novembre 1940 :
"Les charognards. Une récente distribution de tracts et de journaux moscoutaires a amené l'internement administratif d'un autre chef, après Nigou, Biard, Chastellain et Lassalle (domiciliés à Tarbes). Il s'agit du nommé Nolibos. On ne saurait tolérer que tous ceux qui ont mis tant de soins à affaiblir la France, avant de la pousser à la guerre, reprennent leur activité destructrice, au cours de cette période de relèvement national."
Il convient de noter que les cinq personnalités communistes citées ici compteront, dans les années suivantes, parmi les principaux animateurs de la Résistance, à Tarbes :
- Biard Marcel, militant CGTU puis CGT, ouvrier à l’Arsenal.
- Chastellain André, ouvrier à l’Arsenal, frère du futur maire de Tarbes Paul Chastellain.
- Lassalle Georges, représentant de commerce, secrétaire fédéral du parti communiste cadre de la Résistance, fusillé à Brantôme le 26 mars 1944.
- Nigou Alfred, ouvrier à l’usine Hispano-Souza, maire de Soues.
- Nolibos Raoul, garagiste, expert en automobile, responsable syndical.
Au total, un groupe assez exceptionnel, qui n’est pas sans rappeler celui des volontaires des Brigades internationales, interné dans le même camp, un an auparavant.
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