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Les "indésirables basques" : mai-juillet 1940

Il s’agit d’un des aspects les plus mal connus de toute l’histoire de Gurs. Aujourd’hui encore, plusieurs questions soulevées par cet internement demeurent sans réponse satisfaisante.

Camp de Gurs | Les "indésirables basques" : mai-juillet 1940 | Gurs (64)Les faits : l’internement administratif de 800 Basques, à l’îlot C

Du 18 au 25 mai, une nouvelle catégorie d'Espagnols est enfermée à Gurs : les émigrés politiques basques. On en compte environ 800. Leur identité n’est que partiellement connue et aucune liste précise ou exhaustive n’a jamais été publiée.
Nous savons seulement qu’il s’agit d’hommes, appartenant majoritairement au Parti nationaliste basque (PNV), installés à demeure dans le département des Basses-Pyrénées, certains depuis quelques mois, d’autres depuis deux ou trois ans. Leurs titres de séjour étaient en règle ou en voie de régularisation. Ils résidaient, parfois avec femmes et enfants, dans des communes précises, généralement situées entre Bayonne et Hendaye, mais aussi en Béarn ou en Bigorre ; leur lieu de résidence avait été déclaré aux services préfectoraux et il était parfaitement connu de la police. La plupart d’entre eux avaient trouvé un travail, dûment déclaré, dans la région, et subvenaient financièrement à leurs propres besoins. Ils semblaient en voie d’intégration dans les circuits socio-économiques de la région et ne posaient pas de problème particulier, sur le plan de la vie politique ou de la sécurité publique. Certains d’entre eux avaient déjà été internés à Argelès et à Gurs, au printemps 1939, sans qu’on puisse en préciser le nombre. Tous étaient considérés comme des réfugiés, chassés de leur domicile par la répression franquiste.
En une semaine, 800 d'entre eux sont arrêtés par les services de gendarmerie et les agents des commissariats centraux : les uns à leur domicile, d'autres sur leur lieu de travail, à St-Jean-de-Luz, à Anglet, à Hendaye, mais aussi à Oloron ou à Tarbes, d'autres à "La Roseraie" d'Ilbarritz, la clinique basque où ils étaient en traitement. Ils sont immédiatement conduits à l'îlot C.
Il s’agit presque exclusivement de militants basques appartiennent à la principale organisation politique de l'ex-Euskadi, le PNV, ou à ses satellites, l'ANV (action nationaliste basque) et le STV (syndicat : Solidarité des travailleurs basques).

Parmi eux, quelques personnalités éminentes comme :
- Jesus Aguiregoilia, membre de l'EBB (Euzkadi Buru Batzar), conseil suprême du PNV.
- Teodoro Aguirre, frère du président.
- Luis Aregui, membre de l'EBB.
- Luis Ariedondo, membre de l'EBB.
- Andres Bereziartua, membre de l'EBB.
- Juan Careaga, ancien député.
- Juan de Duranona, ancien secrétaire à la Marine.
- Manuel Egileor, secrétaire général du PNV.
- Juan de Elosu Fernand, médecin.
- Elias Etchebaria, membre de l'EBB.
- Isidore Fagoaga, chanteur d’opéra, ténor célèbre.
- Ambrosio Garbisu, conseiller municipal de Bilbao.
- José Lekaroz, directeur d'El Dia, journal de Saint-Sébastien.
- Julio et José Urunuela, professeurs éminents.
- Luis de Vilallonga, frère du comte José.


Cette liste demanderait évidemment à être complétée, mais il est clair qu’il s’agit de personnalités de premier plan, ayant exercé auparavant des responsabilités importantes dans la vie politique ou sociale de leur région.

Camp de Gurs | Les "indésirables basques" : mai-juillet 1940 | Gurs  (64)Les raisons de ces internements administratifs

Nous l’avons dit, elles n’apparaissent pas clairement, aujourd’hui encore.
Car il faut d’abord souligner que le PNV n’avait rien d’un parti extrémiste (ce qui est toujours le cas de nos jours, d’ailleurs). Il s’agit d’un parti modéré, de type démocrate chrétien, qui avait donné au Pays basque espagnol, dans les années précédant la guerre civile, des hommes politiques de qualité, comme le président Aguirre ou son ministre de l’Intérieur, Telesforo de Monzon. Les membres de ce parti, réfugiés en France, avaient conscience de qu’ils devaient à leur pays d’accueil, le disaient publiquement, et ne cherchaient pas à comploter d’une quelconque façon.
Pourquoi, dès lors, avoir assimilé ces réfugiés au groupe des "indésirables" ? À l’évidence parce qu’ils représentent, pour le ministère de l’Intérieur, "un danger pour la Défense nationale et la sécurité publique". Mais quel danger ? Des agents de la cinquième colonne, soupçonnés d’être, comme les femmes allemandes internées dans les îlots voisins, des alliés potentiels de l’Allemagne ? Des fauteurs de troubles, qui chercheraient à déstabiliser la République, au moment où les véritables combats sont engagés ? Des ennemis potentiels, au cas où l’Espagne entrerait en guerre contre la France? À vraie dire, aucune de ces hypothèses ne résiste un seul instant à l’analyse.
Force est donc de s’en tenir aux interprétations des intéressés eux-mêmes, telles qu’elles ont pu être recueillies pendant les années 80. Trois motifs sont le plus souvent avancés, sans que des preuves formelles puissent être fournies.
Pour les uns, ces arrestations seraient en étroite relation avec les accords passés entre le général Jordana, ministre des Affaires étrangères de Franco, et Léon Bérard, qui avait négocié pour le gouvernement français, le 26 février 1939, la reconnaissance du nouveau régime espagnol. A cette occasion, des listes de réfugiés politiques, réputés dangereux, avaient été fournies aux autorités françaises ; quelques mois plus tard, il avait suffi d’utiliser ces listes, d’appréhender les intéressés et de les envoyer à Gurs.
Pour d'autres, elles incomberaient d'abord aux manœuvres d'Ybarnégaray, qui n’a de cesse de vilipender les Basques "rouges" réfugiés dans les Basses-Pyrénées.
Pour d'autres enfin, les plus nombreux, ces internements relèveraient d'une initiative de Pétain, que Reynaud vient de rappeler de son ambassade : le Maréchal, craignant que l'Espagne n'entre en guerre contre la France, comme allait bientôt le faire, le 10 juin, l'Italie, aurait exigé avant son départ de Madrid que les émigrés politiques réfugiés dans le Sud-Ouest soient neutralisés et groupés dans un camp, afin d'apaiser les velléités belliqueuses des dirigeants espagnols. Un tel geste présenterait un double avantage : il prouverait l'attitude conciliante du gouvernement français à l'égard des franquistes et permettrait de mettre au secret quelques "indésirables" étrangers susceptibles, éventuellement, de troubler l'ordre public. Cette explication, qui s'inscrit assez bien dans le climat politique du moment, ne repose cependant sur aucun document d'archives. On ne saurait donc affirmer son authenticité.
Cependant il est clair que, pour Bérard, Ybarnégaray ou Pétain, les Républicains basques espagnols réfugiés en France sont à la fois un danger pour le pays et un gage auprès des Franquistes. En les internant, non seulement, le gouvernement français ne courait aucun risque, mais surtout, il pouvait en tirer profit auprès de Franco.

Camp de Gurs | Les "indésirables basques" : mai-juillet 1940 | Gurs  (64)Un internement de quelques semaines

Les Basques espagnols demeurent à l'îlot C pendant un mois environ.
La durée réduite de cet internement ne leur permet pas de développer des activités originales. Les journées sont passées, à l'extérieur des baraques, à marcher et à discuter et le séjour eût été supportable, sans la constante angoisse ressentie dès que l'on pense à l'avenir. Sera-t-on livré à Franco? Comment survivent les femmes et les enfants ? L'administration française envisage-t-elle des mesures plus extrêmes? Ou bien une éventuelle libération ? Les troupes allemandes atteindront-elles Gurs? De quelle nouvelle catastrophe sera fait l’avenir ?

Les premiers départs ont lieu le 21 juin vers le Venezuela, grâce aux démarches du père Iñaki de Azpiazu. Puis, la semaine suivante, l'îlot C se vide presque entièrement. La confusion engendrée par l'annonce de l'armistice, le désarroi provoqué par la nouvelle de l'arrivée imminente des troupes allemandes en Béarn, le laxisme du commandant du camp, qui signe alors la plupart des demandes de sortie, profitent d'abord aux Basques de l'îlot C. Tous ceux qui répondent aux deux conditions de départ fixées par l'administration préfectorale (avoir un domicile précis et disposer des moyens matériels pour subvenir à ses besoins) sont élargis. Ces départs correspondent à des libérations de fait, bien qu’aucun certificat de libération, en bonne et due forme, n’ait jamais été remis aux intéressés.
Ils quittent donc massivement le camp dans les derniers jours de juin. Ils passent la ligne de démarcation encore fantôme. Certains retrouvent à Bayonne leurs familles ou leurs amis, d'autres s'efforcent de s'embarquer vers l'Amérique du Sud ou l'Angleterre, d'autres s'installent progressivement dans la clandestinité : on les retrouvera, quelques mois plus tard, dans les réseaux de résistance locaux. Quant à ceux qui sont demeurés à l'îlot C, une centaine environ, ils sont transférés, les 29 et 30 juin, au camp d'Idron, près de Pau. Ils y resteront quelques mois, puis seront dirigés vers le camp d'Agde où la commission Todt n'aura qu'à puiser pour recruter la main-d'œuvre affectée à ses chantiers.

L’internement des 800 Basques de l’îlot C demeure, encore aujourd’hui, assez mystérieux. Il relève d’une logique administrative d’exception, prise en toute hâte, pendant une période troublée. Le contenu de ces mesures exceptionnelles n’a jamais été communiqué aux intéressés eux-mêmes. Les archives ne permettent pas de le préciser.
C’est pourquoi cet internement, qui n’eut pas d’effets graves sur l'existence même de ces réfugiés basques, leur laissa un des pires souvenirs de leur vie. Non seulement, il leur ôta leurs dernières illusions sur l’attitude du gouvernement français à l’égard des réfugiés politiques, mais surtout, il suscita chez eux une amertume beaucoup plus grande que celle qui était liée à leur enfermement dans les camps de la Retirada. Il est vrai qu’ils ne comprirent jamais les raisons de ces mesures d’exception. Il faut bien reconnaître que nous non plus.
Dans l’immédiat, la première conséquence de cet internement fut de briser le PNV, pour de longues années. Il faudra attendre la fin de la guerre pour le voir peu à peu renaître.

 

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