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Les transferts vers d’autres camps (1940-43)

7 200 transferts environ sont enregistrés par le service des effectifs de Gurs (33% de l’ensemble des sorties à l’époque de Vichy). Ils se décomposent de la façon suivante :

- 2 770 transferts entre le 24 octobre et le 31 décembre 1940 (dont 1 645 dans la seule semaine du 24 au 31 octobre).

- 3 145 transferts en 1941, presque tous pendant le premier semestre (3 035).

- 1 025 transferts en 1942.

- 260 transferts en 1943.

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Le transfert, une laborieuse démarche administrative

On peut distinguer deux types de transferts : ceux qui sont décidés par l’administration du camp et ceux qui sont demandés par les internés. Pour les premiers, la situation est simple : la décision est immédiatement exécutoire et les convois sont organisés dans les plus brefs délais. Il n’est est pas de même des seconds.

Avant d’obtenir son transfert vers un autre camp, l’interné doit accomplir toute une série de démarches qui peuvent prendre beaucoup de temps. Il faut remplir au moins quatre formulaires : la fiche d’identité, la fiche individuelle d'hébergement, la notice indivi­duelle et le formulaire expliquant les raisons de sa demande. Ce dédale administratif désarçonne souvent les internés qui ont le sentiment, à juste titre d’ailleurs, qu’il manque toujours une pièce à leur dossier. Il vient ajouter au désarroi d’hommes et de femmes qui, non seulement, ne parlent pas la langue de leurs interlocuteurs, mais surtout, n’arrivent pas à comprendre les raisons d’une telle lourdeur administrative. L’instruction d’un dossier nécessite, en effet, de fréquents allers et retours auprès du chef d’îlot, parfois auprès d’un fonctionnaire du service des effectifs, sans être jamais certain d’avoir correctement répondu aux demandes formulées.

Les raisons justifiant une demande de transfert sont toujours les mêmes : le rapprochement des membres d'une même famille. Mais là encore, il faut multiplier les précisions et les explications : état civil complet de la personne à rejoindre, lettre d’explications, en français, urgence de la procédure, etc... Un délai minimum de plusieurs mois est nécessaire avant que la demande soit (éventuellement) satisfaite.

Autant dire que tout transfert, dès lors qu'il est souhaité par un interné, se heurte à un véritable mur de documents administratifs, tous plus indispensables les uns que les autres, tous plus urgents les uns que les autres. Il arrive fréquemment que, le temps que le dossier soit finalement bouclé, la situation des intéressés ait totalement changé, quand la personne elle-même n’est pas décédée. En revanche, lorsque le transfert est décidé par les services préfectoraux ou ministériels, son exécution est d'une éton­nante rapidité.

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La transferts décidés par l’administration (octobre 1940-avril 1941)

Les premiers datent des 30 et 31 octobre 1940 et concernent les Espagnols de Gurs. Ils sont alors systématiquement envoyés au camp de Rivesaltes. Le camp roussillonnais apparait alors comme spécialisé dans l'accueil des anciens réfugiés républicains espagnols, même si cette fonction va se démentir rapidement. La seule raison d'être de ce mouvement est donc la redistribution des inter­nés, en fonction de leur statut administratif, dans les camps de la zone sud. Les Cypriennais et les internés de Tence, transférés au même moment à Gurs, relèvent des mêmes mesures, mais en sens inverse.

Le 17 janvier 1941, un nouveau plan d'utilisation des camps est dressé par les fonctionnaires de Vichy. D’après ce texte, les effectifs surchargés du centre d'hébergement de Gurs seront bientôt soulagés par la création de nouveaux camps, les camps-hôpitaux de Noé et du Récébédou, aménagés dans la banlieue toulousaine. Le terme de camps-hôpitaux ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit ni d’hôpitaux, ni de maisons de retraite, mais seulement de camps mieux construits que ceux de l’époque espagnole : les murs sont en briques, le toit en tôle et le sol praticable en toute saison. Mais ils sont soumis aux mêmes règlements que Gurs et, en août 1942, les déportations s’abattront sur eux comme sur n’importe quel autre centre d’hébergement de la zone libre.

Leur mise en ser­vice correspond à la deuxième vague de transferts : les 21 et 27 février 1941, 601 vieillards transportables sont dirigés sur Noé (349 hom­mes et 252 femmes âgés de 65 ans au moins). 150 d'entre eux environ y mourront dans les semaines suivantes. Un mois après, les 17 et 20 mars, 875 malades et infirmes, vieillards pour la plu­part, sont envoyés au Récébédou : 481 hommes et 394 fem­mes, presque tous atteints d'œdèmes de la faim ou d'entérite. Les conditions de vie, au Rébébédou, comparées à celles de Gurs, apparaissent presque satisfaisantes, même si une centaine de malades y trouvent la mort au cours du printemps 1941. Parallèlement, 1 226 enfants et leurs familles (parents et grands-parents) sont au même moment convoyés jusqu'à Rivesaltes : 570 enfants de moins de 16 ans accompagnés de 656 adultes (525 hommes et 131 femmes). En tout, 2 702 hommes, femmes et enfants sont ainsi transférés entre le 21 février et le 20 mars 1941 (1 355 hommes, 788 femmes et 570 enfants), presque tous provenant du groupe des internés badois. La liste nominative des intéressés est conservée dans un rapport du chef de camp, adressé le 29 mars 1941 au ministre de l’Intérieur. Si l’on ajoute à ces départs les quelques dizaines de transferts obtenus à titre individuel à destination d'Argelès ou de Nexon, on arrive à un total de 2 865 pour la période considérée. Jamais, par la suite, on n’enregistrera un ensemble de départs aussi massifs.

La première conséquence des transferts du printemps 1941 est le bouleversement des conditions d’internement au camp. Les Gursiens désormais disposent d’un espace accru et, avec l’arrivée des beaux jours et de températures plus clémentes, un certain espoir réapparait.

Mais les internés ne souhaitent pas pour autant demeurer à Gurs ; les candidats aux transferts restent nombreux : près de 2 000 encore, en avril 1941. Le 4 avril 1941, rendant compte au ministre de l'Intérieur, service des camps, des transferts effectués au cours des semaines précédentes, le préfet des Basses-Pyrénées note que le « nombre des vieillards qui n'ont pu être admis faute de place dans les camps de Noé et du Récébédou s'élève à 747 (238 hommes et 509 femmes). Le nombre des étran­gers infirmes ou malades chroniques demeurés à Gurs s'élève à 1 170 (782 hommes et 388 femmes). » À l’évidence, Gurs est un camp sordide, d’où les internés n’ont qu’un souci, celui de le quitter le plus vite possible.

Par la suite, toutes les places étant occupées à Noé et au Récébédou, l'inspection général des camps tente de créer de nouveaux camps hôpitaux dans les stations thermales du Gers. Tour à tour, les communes de L'Isle-Jourdain, Gimont, Barbotan et Nogaro sont sollicitées, mais, chaque fois, le projet soulève une levée de boucliers, d'ailleurs orchestrée par le préfet du Gers lui-même (« l'arrivée de ces étrangers discréditerait la région »). L'affaire n'aura pas de suites car, au moment où elle allait aboutir à L'Isle-Jourdain, débu­tent les déportations d'août 1942, qui bousculent toutes les prévi­sions.

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Les autres transferts, souvent demandés par les internés eux-mêmes

Ils sont très minoritaires, par rapport aux précédents. On en compte seulement 1 260, pour la période compris entre avril 1941 et août 1942. Ils correspondent surtout au regroupement familial.

Ensuite, à partir du mois d'août 1942, leur nombre s'effondre et ne concerne plus que quelques rares privilégiés.

Pendant cette période, Gurs apparaît comme une des bases de l’archipel des camps de Vichy¹. Le camp béarnais est en rapports avec tous les autres camps de la zone sud (Septfonds, Casseneuil, Masseube, Saint-Sulpice-la-Pointe, Le Vernet d’Ariège, Saint-Paul d’Eyjaux, Brens, Rivesaltes, Agde, Bram, Rieucros, Chabane, Fort-Barraux, Saint-Hyppolite-du-Fort, Les Milles, Oraison, Sistéron, Chibron, Le Chaffaut, etc...). Il échange avec eux ses internés, au gré des demandes laborieusement satisfaites.

Ainsi, l'essentiel des transferts s'est produit en début de période, entre octobre 1940 et mars 1940 : 5 680 (soit 78,9 %). Une propor­tion aussi élevée témoigne de la confusion dans laquelle le régime de Vichy a mis au point, pendant les premiers mois de son histoire, le système des camps pour étrangers.

Soulignons que les transferts de Gurs ne constituent en aucun cas une solution à la question de la présence des juifs étrangers sur le sol français. Pratiquement tous ces internés, qu’ils soient enfermés à Gurs ou dans un autre camp, seront victimes des déportations de l’été 1942. On sait qu’aucun, ou presque, n’est revenu.

 

 


 

¹ Voir Denis Peschanski. La France des camps. L’internement 1938-1946. Gallimard, Paris, 2002, 456 p.

 

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