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Les femmes "indésirables" de l'été 40 : les 9 771 "Gursiennes"

Le 21 mai 1940, est interné à Gurs un groupe en tous points différents de tous ceux que le camp avait connus jusqu’ici : 464 femmes allemandes. Jusqu’alors, aucune femme n’avait jamais été enfermée au camp.

Jusqu’alors, les seuls Allemands qui aient connu les îlots appartenaient au groupe des combattants des Brigades internationales. Mais aucun civil allemand n’avait encore été interné. Il s’agit donc bien d’un tournant dans l’histoire du camp. Un nouveau palier institutionnel est désormais franchi. Gurs, à partir du 21 mai 1940, ne sera plus jamais considéré, du moins officiellement, comme un lieu d’ "accueil" ou d’ "hébergement", mais bien comme un lieu répressif d’internement. Bien sûr, cette fonction existait déjà dans les faits, depuis la création du camp. Bien sûr, les Républicains espagnols de 1939 étaient davantage traités comme des parias que comme des réfugiés. Mais on pouvait encore évoquer, en leur faveur, de lointaines considérations humanitaires. Tout cela disparait complètement, désormais. Le camp de Gurs bascule dans un autre univers, celui de l’exclusion pure et simple. Comme le montre Denis Peschanski, (La France des camps, Gallimard, Paris, 2002), on passe désormais de l’exception à l’exclusion.

Les "Gursiennes" de l'été 1940 sont mal connues car l'autodafé du 24 juin 1940, qui a détruit les archives du camp, a supprimé du même coup toute possibilité d'étude détaillée de cette population.
Aucune liste, même partielle, n’est parvenue jusqu’à nous.
Quelques témoignages (Lisa Fittko, Lilo Petersen, Laure Schindler, Hanna Schramm) fournissent cependant une mine d’informations sur leur internement¹.

Camp de Gurs | Les femmes "indésirables" de l'été 40 : les 9 771 "Gursiennes" | Gurs (64)

Au total, 9 771 femmes et enfants.

Après les 464 femmes, internées le 21 mai 1940, arrivent au camp de nouveaux convois, composés exclusivement de femmes : un groupe de 1 900 "Parisiennes", le 23 mai, puis, presque chaque jour jusqu’ à la fin du mois, d’autres groupes, composés de milliers et de milliers de "ressortissantes allemandes". Le 1er juin, le service des effectifs du camp en comptabilise 7 112, toutes désignées comme allemandes. Elles ont été conduites en train, de Paris à Oloron, puis en camion, d’Oloron à Gurs.

Dans les tout derniers jours de mai et pendant le mois de juin, de nouveaux convois de femmes arrivent encore. Ils proviennent toujours de la région parisienne. Ils ne se composent plus d’Allemandes, mais désormais de Mosellanes, d’Autrichiennes, de Tchécoslovaques, de Polonaises, de Yougoslaves, de Roumaines, de Bulgares, etc... Au total, 2 659 nouvelles venues.

Ainsi, en un mois et demi, entre le 21 mai et le 30 juin, c’est une population de 9 771 personnes, exclusivement des femmes et des enfants, qui sont internés à Gurs. Une statistique du bureau des effectifs, établie le 23 juin, le jour même de la signature de l’armistice, à une époque où certaines internées ont déjà obtenu leur sortie du camp, en comptabilise 9 283. C’est donc presque 10 000 femmes et enfants qui se retrouvent enfermés à Gurs, à l’occasion de la débâcle de mai-juin 1940. Le camp retrouve alors un taux d’occupation proche de celui des premiers mois de son histoire.

Hanna Herschbaum-Fleischer. La soupe des enfants. Camp de Gurs. Juin 1940. Dessin à la plume.

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Un groupe homogène ?

Les "Gursiennes" de l’été 40 sont souvent présentées comme un ensemble d’une grande homogénéité. Trois arguments viennent étayer ce jugement superficiel : d’une part, il s’agit de femmes, dans un camp jusque là exclusivement réservé aux hommes ; d’autre part, elles proviennent toutes de la région parisienne ; enfin elles sont toutes de langue allemande.

Cette apparence d’homogénéité cache, en fait, des différences profondes.
Ces femmes (et les enfants qui les accompagnent) n’ont rien de parisien, à de rares exceptions près. Elles ont seulement été regroupées dans des stades parisiens, à partir du 15 mai 1940. Mais les unes étaient françaises ("les Mosellanes"), les autres, allemandes ou assimilées à des Allemandes (Autrichiennes, Dantzigoises, Sudètes, Sarroises, etc...) ; d’autres provenaient d’Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, etc...). Rares sont celles qui résidaient à Paris au printemps 1940.

De même, si toutes étaient censées parler l’allemand, il est certain que les ressortissantes allemandes n’en représentaient qu’une grosse moitié, environ.
En outre, les "Gursiennes" sont de tous âges et de toutes origines sociales, comme on le verra plus loin. La majorité d’entre elles sont juives, mais plusieurs milliers ne le sont pas. Les unes sont mariées, ont parfois des enfants, les autres non. Les unes ont fui le Reich pour échapper aux persécutions antisémites, les autres sont des émigrées à caractère économique. La plupart sont antinazies, mais pas toutes. Les unes ont pu quitter le camp assez facilement, au mois de juillet, les autres ont été obligées d’y demeurer.

Bref, une analyse, même superficielle, montre que des différences considérables les opposent et qu’il serait hasardeux de les considérer comme appartenant à un groupe homogène.


¹ Les principaux témoignages publiés par les femmes "indésirables" sont les suivants :

- Lisa Fittko. Le chemin des Pyrénées. Souvenirs 1940-1941. Maren Stell, 1987

- Suzanne Leo-Pollak. Nous étions indésirables en France. Une enquête familiale. Ed. Traces et empreintes. Coll. Rappel. Saint-Genis, 2009, 264 pages.

- Lilo Petersen. Les oubliées. Ed. Jacob-Duvernet. Clamecy, 2007, 238 pages. Postface de Denis Blanchot intitulée "La première rafle du Vel’ d’Hiv’, un orphelin de l’histoire".

- Laure Schindler-Levine. L’impossible au revoir. L’Harmattan. Mémoire du XXème siècle. Paris, 2001, 185 pages.

- Hanna Schramm. Vivre à Gurs. Un camp de concentration français. 1940-1941. François Maspero. Coll. Actes et mémoires du peuple. Paris, 1979, 379 pages. Une dizaine de témoignages brefs sont annexés au texte de l’auteur.

- Adrienne Thomas. Reisen sie ab, Mademoiselle. Fischer. Bibliothek der verbannten Bücher, Franckort, 1985.

L’étude la plus précise consacrée aux femmes "indésirables" est celle de Gabrielle Mittag, intitulée "Frauen in Gurs. Stationen des Überlebens", publié dans Gurs. Deutsche Emigrantinnen im französichen Exil, Argon Verlag, Berlin, 1990, pages 43-52.

 

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