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Que faire face à la guerre franco-allemande?

L’analyse politique qui avait conduit la plupart des "Internationaux" de Gurs à accepter le pacte germano-soviétique, ne suscite que soupçon et méfiance auprès les autorités françaises. Plus que jamais, il convient d’exercer sur ces étrangers une surveillance de tous les instants. En conséquence de quoi les intéressés eux-mêmes s’enferment dans une attitude de refus.

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Attitude au moment de la déclaration de guerre

Le ministère des Affaires étrangères aurait souhaité, semble-t-il, que les volontaires "internationaux" internés dans les camps puissent s’engager, mais le ministère de la Défense n’en veut pas. L’armée française refuse catégoriquement de les intégrer dans ses unités combattantes. Quelles sont, dès lors, les autres solutions envisageables ? Les verser dans les régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE) ? C’est possible, estime le gouvernement Daladier, si cette mesure ne concerne ni les Allemands, ni les Autrichiens. Leur proposer la Légion étrangère ? Les brigadistes n’y sont pas opposés au début, mais lorsqu’ils constatent que les engagés sont systématiquement transférés en Afrique du nord, loin des lieux de combat, ils refusent catégoriquement. Les incorporer dans les compagnies de travailleurs étrangers ouvertes aux Espagnols dès le 17 septembre ? Le gouvernement hésite pendant plusieurs mois à leur faire une telle proposition et il faut attendre la mi-décembre pour que les premiers décrets soient promulgués en ce sens; mais alors, les internationaux n’en veulent plus, affirmant qu’ils veulent combattre et seulement combattre.


Ils demeurent donc à Gurs, enfermés dans les baraques.

Camp de Gurs | Que faire face à la guerre franco-allemande? | Gurs (64)Pendant la "drôle de guerre" (septembre 1939-mai 1940), une situation confuse et bloquée

Pendant neuf mois, la situation semble complètement bloquée. D’un côté, un groupe très organisé, composé majoritairement d’Allemands, d’Autrichiens et de Polonais, c’est-à-dire de ressortissants appartenant à des pays en guerre contre la France, mais qui veulent combattre aux côtés de l’armée française, et rien d’autre. De l’autre, l’administration militaire française qui considère qu’il est préférable de garder ces hommes enfermés dans un camp, plutôt que de prendre le risque de les incorporer dans ses unités; comment l’opinion publique pourrait-elle comprendre que ces Allemands soient considérés autrement que des ennemis? La situation reste donc figée pendant de longs mois.
Du moins en apparence, car la pression exercée sur les internationaux fait peu à peu voler en éclats l’unité apparente de l’été 1939. Les clivages existant déjà avant la guerre s'accentuent. Le groupe allemand, par exemple, déjà scindé à la suite de la sécession de la 9e compagnie, se sépare en deux fractions rivales. L'une, dirigée par Otto Wittmann, rassemble les militants et les sympathisants du KPD; ils sont en rapport avec des communistes français desquels ils reçoivent, le 29 septembre 1939, "quelques dizaines de tracts ronéotypés qui expliquent le traité de non-agression germano-soviétique"; ils restent fidèles à la ligne communiste officielle et soutiennent le pacte signé le 23 août. L'autre, autour d'Ernest Braun, réunit tous ceux, socio-démocrates, socialistes ouvriers, anarchistes et même quelques communistes, qui dénoncent l'accord germano-soviétique; ils sont minoritaires et considérés comme des traitres par les premiers.


Le groupe polonais, composé lui aussi d'une forte majorité de communistes, réagit différemment. Fortement ébranlé à l'annonce du pacte, il proclame, le 1er septembre, lorsque les troupes nazies envahissent la Pologne, sa volonté de retourner au pays pour combattre :


"Notre première idée, lorsque nous avons appris l'agression hitlérienne contre notre patrie, fut de former une délégation, avec les Ukrainiens, les Russes blancs et les Juifs. Cette délégation se rendit à l'ambassade de Pologne, à Paris, pour proposer que nous retournions chez nous défendre notre pays. Nous ne posions aucune condition. Malgré cela, il nous fut répondu : "Vous n'êtes pas des citoyens polonais". Et nous avons dû, impuissants et inactifs, assister à la trahison de notre clique dirigeante, à la fuite en Roumanie des chefs de nos armées, à l'invasion totale de notre pays. Notre place aurait dû être là-bas, au pays, et non dans le sud de la France, derrière des barbelés."

Ainsi, qu'ils l'aient désiré ou non, les "Internationaux" demeurent à Gurs pendant les premières semaines de la guerre. Ils affrontent, dans les îlots, un climat plus tendu qu'auparavant : les querelles idéologiques sont plus vives, l'impatience plus grande. La surveillance des services français devient plus étroite : la Sécurité multiplie les enquêtes, organise des visites d'inspection inopinées, traque les militants qui "tiennent des propos hostiles à la France". Il semble donc que, comme par le passé, les dissensions ne filtrent pas à l'extérieur des îlots.

Camp de Gurs | Que faire face à la guerre franco-allemande? | Gurs (64)Le refus de l’engagement dans la Légion étrangère


Le groupe polonais le justifie en ces termes :

Nous nous sommes adressés au gouvernement du général Sikorski qui comptait former une armée polonaise en France, dans la ville de Coëtquidan. Il nous a envoyé, après une longue période d'attente, un émissaire, un officier ayant le grade de capitaine. Celui-ci, dès ses premiers mots, nous a stupéfiés. C'était un sot habillé en officier, la baïonnette à la main, les bottes de cavalier aux pieds (...). Il voulait nous incorporer dans le bataillon qu'il comptait former avec nous. Il nous disait que les luttes seraient faciles contre les chars russes, que nos baïonnettes suffiraient et que, pour récompenser notre courage, il nous donnerait des terres, en Ukraine ou en Biélorussie. Nous nous regardions. Nous n'en croyions pas nos oreilles. Et puis, il critiquait les communistes, les communistes polonais surtout, qu'il qualifiait de "traîtres à leur patrie". Nous ne pouvions accepter tout cela. (...)
Notre groupe a demandé aux autorités françaises l'autorisation d'entrer dans l'armée française. On nous a proposé la Légion, ce que nous ne pouvions accepter avec enthousiasme (...). Nous, nous ne voulions rien d'autre qu'un fusil et une place au milieu de ceux qui luttaient contre Hitler. Cette place, nous la voulions aux premières lignes, en face des Allemands. Nous ne la voulions pas dans les colonies françaises, au service de l'impérialisme français, à combattre des peuples qui, comme nous, rêvaient de liberté.

Camp de Gurs | Que faire face à la guerre franco-allemande? | Gurs (64)Transferts dans le camp du Vernet (Ariège)

Pour l’essentiel, le groupe des internationaux reste interné à Gurs.
Les éléments considérés comme les plus dangereux, les "fortes têtes" sont cependant séparés des autres et systématiquement transférés au camp du Vernet. Ainsi, le 2 octobre, une trentaine d'entre eux sont dirigés vers Le Vernet (Ariège) où une nouvelle section disciplinaire vient d'être ouverte pour eux. Parmi eux, quinze Allemands, dont l'ancien député communiste de Hambourg, Sigmund Nielsen, connu sous le pseudonyme de Rudi Stender, qualifié d'"élément fanatique et dangereux, chef de la Tchéka" ; Arthur Dorf, qualifié d'"homme de confiance du parti communiste et défenseur du pacte germano-soviétique" ; ainsi que Fritz Mayerhofer, considéré comme "un des chefs de la propagande anti-française".
Par la suite, chaque mois, de nouveaux transferts sont organisés vers Le Vernet, qui vident peu à peu le camp. Le 24 juin 1940, les 294 derniers "brigadistes" y sont conduits, tournant définitivement la page de l’internement des "internationaux" à Gurs.


La place est désormais libre pour les "indésirables".

 

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