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Qu'est-ce qu'un "indésirable" français ? (été 1940)
Pendant l’été 1940, plus d’un millier d’"indésirables" français sont enfermés au camp, dans les îlots B et D. Les services administratifs les désigne sous le sigle d’IF.
Un terme abusivement appliqué
Le mot "indésirable" est employé pour la première fois, dans la législation française, dans l’article 2 du décret du 12 octobre 1938, concernant "le contrôle et la surveillance des étrangers". Juridiquement, il aurait dû qualifier les seules personnes visées par le décret, c’est-à-dire les étrangers vivant sur le sol français. Juridiquement, il ne saurait donc être appliqué à des citoyens français. Il est cependant systématiquement utilisé pour désigner les internés politiques français des îlots B et D.
Deux raisons principales expliquent cet abus de langage.
D’abord, la proximité topographique des internés français avec les autres "indésirables", les Espagnols, les Basques, les femmes allemandes, autrichiennes, mosellanes, etc... Quelques dizaines ou quelques centaines de mètres seulement séparent les uns des autres et tous sont soumis à l’autorité unique du chef de camp. Pour l’administration, il n’y a pas de grande différence, de ce point de vue, entre les Français et les étrangers.
Ensuite, le fait que la plupart de ces "indésirables" soient des communistes, c’est-à-dire des Français qui, parce qu’ils avaient approuvé le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, se retrouvaient de fait du côté des Allemands, nos ennemis, désormais alliés aux soviétiques.
Ainsi, en les désignant du terme d’"indésirable", on les définissait, par assimilation, comme des étrangers, donc comme des personnes suspectes de ne pas être des véritables patriotes et donc, suspectes de faire indirectement le jeu de l’ennemi. Leur engagement politique et idéologique aux côtés de l’URSS, désormais alliée du Reich, en faisait des "individus dangereux pour la Défense nationale". Au même titre que les autres "indésirables".
Au lendemain de la guerre, les politiques français de Gurs ont souhaité conserver ce qualificatif d’"indésirable", certains l’ont même revendiqué, pour souligner cette sorte de fraternité qui les unissait aux autres internés, enfermés à côté d’eux et victimes, comme eux, des lois et décrets Daladier de 1938.
Les "indésirables" communistes
L'internement des IF communistes doit être replacé dans le contexte politique de la "drôle de guerre".
La déclaration de guerre de la France à l’Allemagne (3 septembre 1939) intervient une dizaine de jours après le pacte de non-agression germano-soviétique (23 août 1939).
Comment allait réagir le PCF, tiraillé entre son attachement à la France et son admiration pour le système soviétique ? Il lui fallut près d’un mois pour définir officiellement sa position, signe de ses hésitations. Mais fin septembre, la ligne politique est établie : non seulement, le PCF ne dénonce pas le pacte, mais surtout, il affirme que la guerre franco-allemande est une guerre inter-impérialiste, que les ouvriers n’ont rien à y gagner et qu’il ne soutiendra donc aucun des deux camps. Une telle position déchaine un véritable déferlement d’anticommunisme, au moment même où le gouvernement Daladier est confronté à une offensive de grande envergure des milieux pacifistes.
Tel est le climat dans lequel est promulgué le décret du 26 septembre, "portant dissolution des organisations communistes". Au terme de ce décret, les quotidiens L’Humanité et Ce soir sont totalement interdits, les associations communistes sont dissoutes et le groupe communiste à l’Assemblée nationale ne peut plus exister. Des poursuites sont même engagées contre les députés communistes.
Ce premier décret Daladier est complété, quelques semaines plus tard, par un second. Le 18 novembre, en effet, est promulgué un nouveau texte de loi établissant que "les individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique peuvent, sur décision du préfet, être astreints à résider dans un centre désigné par décision du ministre de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l’Intérieur" (article 1). Désormais, les communistes sont donc susceptibles, sur simple décision administrative, d’être enfermés dans des camps ou conduits en prison.
En vertu de ces deux décrets d’exception, sont arrêtés, à la fin de l’année 1939, principalement dans la région parisienne, plusieurs centaines de militants communistes. Ils sont enfermés dans les prisons de la Santé et du Cherche-Midi. D’autres seront arrêtés plus tard, en avril ou mai 1940, et conduits dans les mêmes prisons.
Les termes du décret Daladier du 18 novembre 1939 étant presque identiques à ceux qui avaient été utilisés, un an auparavant, dans le décret du 12 novembre 1938, sur les "indésirables" étrangers, il est, en quelque sorte, logique que tous, étrangers comme communistes français, soient, à l’époque, qualifiés d’"indésirables".
Les autres "indésirables" français
Au moment de la campagne de France de mai 1940, d’autres groupes d’IF sont également enfermés dans les prisons parisiennes, avant d’être transférés à Gurs. Ces groupes, très hétéroclites, sont minoritaires par rapport au précédent, mais il convient de les évoquer.
D’abord, les ouvriers grévistes des usines travaillant pour la Défense nationale (poudreries, cartoucheries, production d’armes, etc...). Leur grève est assimilée à un acte de désobéissance civile en temps de guerre, c’est-à-dire une "atteinte à la sûreté de l’Etat". Comme, la plupart du temps, il s’agit de syndicalistes qui, sans être des militants communistes, avaient néanmoins appartenu à la CGTU, leur arrestation correspond sensiblement au groupe précédent.
Ensuite, les pacifistes. Assez actifs pendants les années trente, ils s’appuient sur les traumatismes de la Grande Guerre et dénoncent l’impasse dans laquelle le gouvernement Daladier conduit la France. Peu nombreux, ils prônent la non-violence, à l’instar du mahatma Gandhi. Le plus connu d’entre eux est Louis Lecoin, auteur du tract sulfureux Paix immédiate, publié le jour même de la déclaration de guerre. Le ministère de l’Intérieur considère qu’ils font le jeu de l’ennemi et les emprisonne.
Enfin, les militants pronazis d’extrême droite, ceux qui déclarent ouvertement que la victoire de l’Allemagne est nécessaire pour le renouveau de l’Europe et donc, pour la renaissance de la France. Ils se regroupent autour de quelques publications xénophobes et antisémites comme Je suis partout ou Au pilori. Ils sont considérés, en raison de leurs "actes de nature à nuire à la Défense nationale", comme les alliés objectifs de l’ennemi, et doivent être emprisonnés.
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